ANNA, MA JOCONDE DE SARDAIGNE.
ANNA, MA JOCONDE DE SARDAIGNE.
Elle était à la fenêtre.
Une jeune fille brune.
Son regard.
Elle venait de Sardaigne, sa peau mate, dans l'encadrement du granite, resplendissait.
J'étais en bas, sur la place, moi enfant, elle si femme déjà, mais pourquoi donc me regardait-elle ainsi ?
Il n'y avait personne sur la place à cette heure.
Il devait être midi passé.
On n'entendait rien.
Peut-être, en prêtant l'oreille, aurait-on perçu tout au plus une fourchette ou un couteau entrechoquer une assiette puisque tout le village devait être à table...sauf Anna qui me regardait et moi qui avait dû m'endormir sous un arbre en rêvant et qui revenait à pas comptés d'un périple indéfinissable.
Elle m'observait, triomphante mais discrète; je crois qu'elle souriait, légèrement, si légèrement !
Je n'avais pas pris peur, une exaltation m'avait étreint, presque immédiatement, faisant taire la pudeur, sous la magie de son regard.
Il n'y avait personne au monde ce jour-là, qu'elle et moi qui nous regardions, car ses yeux avaient éveillé les miens, frappant à la vitrine de mon âme, comme d'une fenêtre à l'autre une luisance prend feu.
J'avais dû lui répondre, ma joie plutôt avait dû lui répondre dans un échange continu que l'on ne pouvait mesurer, devant lequel le temps lui-même s'était incliné, comptant toujours mais s'éclipsant, silencieusement, avec respect, car le temps, ce voleur des jours, sait aussi se plier à l'intensité des extases.
Anna ! Anna !
Dis-moi ce que ton regard signifiait !
Pourquoi avoir choisi de l'offrir ainsi du haut d'une fenêtre, le déversant sur un enfant, cette force, cet accomplissement, tes cheveux dénoués, ton regard possédé, pourquoi t'es-tu livrée pour me prendre ?
Peut-être as-tu siffloté alors, en souriant, faisant mine de te retirer, te retirant vraiment dans l'ombre de la pièce puis revenant vers le rebord, t'accoudant, tes cheveux en chute et ton regard qui m'immobilisait pendant que je ne marchais plus, pendant que saisi par lui, interdit, j'étais resté figé à t'admirer - proie enfantine - ,que j'avais souri, que j'avais imploré de mes yeux un message, une explication, sur quelque chose que tu avais suscité en moi et dont il me semblait alors ignorer tout.
Anna !
Tant d'années sont passées depuis !
Ton regard, planté dans mes souvenirs, soulevant la trappe inconnue de ma conscience désirante a avancé si fort en moi !
Ô plaisir et douleur réunis que rien ne sépare !
Pourquoi ?
Bien avant tes amours conscients, ce regard en moi octroyé, plus fort que le diamant, à tant de faces, à tant d'éclats dans son sombre mystère… ou était-ce seulement vers toi que tu l'adressais ? ce trop plein de force ! comme une hirondelle ivre d'été qui crie sur les toits, une adolescence en fête qui rit elle-même à l'espace et qui, incidemment, aurait rencontré un enfant en chemin.
Non. Non et non !
C'était vers moi, pour moi, je le veux ainsi !
N'en parlons plus !
De tes vêtements de ce jour, je ne me souviens plus.
Seuls tes cheveux habillaient ton visage.
Ils encadraient la force souple et indomptée de ton regard comme un pur médaillon, un camée qui respire, une agréable Joconde.
Charles Versini.
Extrait du livre: "Une vision en été"
Amazon.fr Kindle
Photo : Closeup hiver portrait de jeune femme sensuelle brune triste ...