NAPOLÉON SYNTHÉSE DE L'INHUMAIN ET DU SURHUMAIN.

NAPOLÉON SYNTHÉSE DE L'INHUMAIN ET DU SURHUMAIN.

Paul Valéry : «Napoléon savait mieux que personne que son pouvoir, plus encore que tous les pouvoirs du monde ne le sont, était un pouvoir rigoureusement magique, un pouvoir de l’esprit sur des esprits, un prestige.»

Pascal : «Napoléon , cette superbe puissance [...] remplit ses hôtes d’une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison».

Nietzsche : «Ma tâche consiste à mettre en lumière ce que nous serons obligés d’aimer et de vénérer toujours[...]: le grand homme», les individus d’exception, «les grands héros d’une époque, ceux qui marchent seuls», les «fortes natures exemplaires, dans lesquelles les fantasmes s’engendrent, pour la création de valeurs neuves.

En Napoléon, un fragment posthume découvre «la passion des nouvelles virtualités de l’âme, l’élargissement de l’âme».

L’individualité supérieure, apte à entraîner derrière elle l’humanité en vue d’un destin digne d’elle.

 S’attachant au héros tragique, «l’élan titanesque, ce besoin de se faire en quelque sorte l’Atlas de tous les individus et de les porter toujours plus haut et plus loin sur ses vastes épaules»

Même si ou parce que la figure grandiose de Napoléon telle qu’elle hante les imaginations est une fiction, elle agit sur les esprits comme un moteur du vrai progrès humain, aux antipodes de la caricature dérisoire qu’en offre la civilisation européenne moderne, vouée à la médiocrité de la sécurité et du bien-être, engloutie dans la « vulgarité utilitariste » par la préoccupation quasi exclusive de l’enrichissement .

Devenue par là incapable de donner à poursuivre le moindre rêve, elle ne saurait plus communiquer le courage de « mourir pour quelque chose de grand et d’impossible ».

L’homme supérieur, le surhomme ne sont pas des idéaux qu’il faudrait s’efforcer d’atteindre.

Il s’agit d’être et de vivre intensément, de donner lieu en soi à une manifestation supérieure de la vie, et non de se soumettre à l’on ne sait quel devoir de tendre vers un but extérieur.

Nietzsche connaît un seul impératif catégorique, emprunté à Pindare : « deviens ce que tu es ».

Il s’agit de coïncider avec l’effusion de la vie et de la force en soi, non de se conformer à la représentation idéale d’un modèle lointain.

L’être le plus réel et le plus réaliste, le plus éloigné de toute idéalité. Un des derniers écrits mentionnera Napoléon comme le « plus grand des “réalistes” » .

Nietzsche ne reconnaît en lui que des « qualités purement humaines », précisant toutefois qu’elles ont été capables de « s’élever à cette puissante unité qui le distingue de toutes les personnalités modernes » .

La puissance, la force intérieure et spontanée qui rayonne dans la création de valeurs nouvelles, l’affirmation de soi, voilà ce qui fascine Nietzsche, alors que le thème de la volonté de puissance n’a pas encore paru sous sa plume.

Napoléon sait tirer parti même de ce qui le dessert, ainsi le défaut de « parler mal ».

En lui, « l’alliance de la puissance et de la génialité » éclate lorsque, avec un certain goût de la provocation, il exagère délibérément son travers au point de « parler plus mal encore qu’il ne le pouvait ».

Il transmute ainsi, il sublime une infirmité en puissance supérieure : il montre par là « son goût de la domination » et « son esprit subtil ».

Par son mépris des convenances sociales, il domine « sa propre exaspération » à se sentir inférieur aux autres sur ce point et la retourne en supériorité à l’égard des contingences extérieures : de la sorte, « il jouissait de son bon plaisir autocratique » .

Nietzsche rêve l’avènement « d’une aristocratie nouvelle » , fondée non sur les privilèges de la naissance mais sur les qualités éminentes de l’individualité, sur l’affranchissement radical à l’égard de ce qui amoindrit l’homme, notamment les bons sentiments et la morale ordinaire, recours ultime du faible et de l’impuissant.

Napoléon préfigure cette aristocratie.

« Comme une dernière flèche indiquant l’autre chemin apparut Napoléon, le plus singulier, le plus tardif des hommes, et avec lui le problème incarné de l’idéal aristocratique en soi » .

Son « origine plébéienne »  ne l’empêche pas de rester à part, au-dessus, singulier, ne fût-ce que parce que « l’art de commander » a surmonté chez lui « l’instinct grégaire de l’obéissance ».

Avec Napoléon s’est produite « l’apparition d’un maître absolu », le « plus haut bonheur auquel ce siècle ait pu atteindre », conclut Nietzsche, dans un élan qui ne laisse pas de donner à penser .

Napoléon est une figure centrale parce qu’il représente la puissance positive, l’antidote au « déclin », à « l’épuisement », à « l’affaiblissement des instincts » qu’il observe « chez nous, les hommes “modernes”, les Européens ».

La Révolution incarne le sentimentalisme douceâtre de la fraternité, Napoléon la grandeur héroïque de la guerre. Si la Révolution inaugure le règne du bourgeois, Napoléon le renverse.

« Ce sera donc à lui qu’un jour on reconnaîtra le mérite d’avoir restitué à l’homme en Europe la supériorité sur l’homme d’affaires et le philistin », qui ont besoin de la paix pour exercer leur négoce.

»  Nietzsche reproche à l’égalitarisme démocratique, fondé sur « le dogme de l’“égalité des hommes” »  d’entraîner « un affaiblissement et une suppression de l’individu » .

Il réduit l’homme au statut d’« animal grégaire » .

Contre « la civilisation avec ses idées modernes » Nietzsche dresse Napoléon, qui « s’est affirmé par cette hostilité comme l’un des plus grands continuateurs de la Renaissance; c’est lui qui a ramené au jour tout un morceau de nature antique ».

La Renaissance sera définie plus tard comme « l’inversion des valeurs chrétiennes; une tentative […] pour faire triompher les valeurs contraires, les valeurs aristocratiques. »

Pour prendre un symbole :Napoléon » . Le philosophe confie après coup au chef militaire la direction de la guerre contre tout ce qu’il déteste dans l’Europe moderne.

« Je suis belliqueux de nature, avoue Nietzsche. L’agression fait partie de mes instincts. » 

il glorifie Napoléon, de plus en plus souvent mentionné dans les derniers écrits, comme figure du grand combat, provisoirement différé mais toujours à venir, contre la dénaturation de l’homme occidental, victime de ses illusions religieuses, philosophiques et politiques.

Nietzsche en appelle donc à une dureté supérieure et créatrice comme antidote à                                     l’« amollissement douillet »  car prétendre éliminer le risque et la souffrance sans perdre l’essentiel est une illusion funeste.

« Examinez la vie des hommes et des peuples les meilleurs et les plus féconds, et voyez si un arbre qui doit croître vers le haut peut être dispensé des intempéries, des tempêtes » .

Une société se condamne à la médiocrité en évitant à l’homme ce qui le force à grandir par le combat et en feignant d’ignorer que la vie jaillit dans sa plénitude quand on sacrifie sans pitié ce qui fait obstacle à son épanouissement.

« Vivre — cela veut dire : être cruel et inexorable pour tout ce qui en nous n’est que faible et vieilli, et pas seulement en nous. »

Zarathoustra n’envisage pas de sollicitude qui ne soit subordonnée à des buts plus élevés.

« Malheur à tous ceux qui aiment et au-dessus de leur compassion encore n’ont une cime ! ».

 

Source : napoleonbonaparte.be et hal-univ-lyon3.archives-ouvertes.

 

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