TONTON JULES A LA PREFECTURE.
Tonton Jules était le frère de grand-mère Lùnetta.
Je l’aimais beaucoup.
Comme la quasi-totalité des garçons de la Corse du Sud, tonton Jules allait avec ses frères au lycée d’Ajaccio, mais contrairement à ses frères, tonton Jules travaillait très mal, et s’il avait le sens inné des bonnes manières, il n’en demeurait pas moins complètement nul sur les bancs de l’école.
On le pria bien gentiment de quitter le lycée, et sa maman désespérée dut tout de même se rendre à l’évidence.
Son fils aîné était un cancre.
Il était destiné à vivre médiocrement et, malgré son dépit, la douce maman le plaça comme apprenti, dans une boulangerie ajaccienne.
La destinée de Jules semblait toute tracée, mais la vie est étrange, elle réserve parfois de très grandes surprises.
Bien qu’ayant quitté le lycée, son ami intime lui conserva toute son amitié et ses moments de loisir.
Cet ami s'appelait Charles-André Thibon. c’était le fils du Préfet.
1914. La guerre est déclarée.
Madame Thibon, l’épouse du préfet d’Ajaccio, est en pleine déprime.
Elle pleure, se lamente.
Elle a prié et supplié son mari de préserver leur fils aîné. Malheureusement, le préfet est resté inflexible.
— Un fils de préfet doit donner l’exemple. Il est de son devoir de rejoindre les rangs, défendre la France, comme les autres, et avec beaucoup plus d’héroïsme que les autres, puisqu’il est fils de préfet !
Malgré quelques blessures, mes grands-oncles retrouvèrent leur île.
Charles-André Thibon devait être rapatrié dans sa famille.
Il était atteint de tuberculose contractée sur le front.
Il quitta le monde à l'âge de 22 ans.
À son retour au pays natal, tonton Jules se précipita chez la malheureuse maman.
Marie-Andrée Thibon était désespérée.
Elle avait perdu son fils, mais il lui restait l’ami de ce fils tant aimé.
Grâce à sa présence, elle retrouvait un peu de son enfant.
Aussi demanda-t-elle à Jules de ne plus les quitter.
Malgré sa mauvaise orthographe, tonton Jules devint l’homme de confiance du préfet.
Madame Thibon se mit à détester Ajaccio.
Dans cette ville, le souvenir de ses malheurs se trouvait particulièrement intense.
De surcroît, le climat était la cause de ses douleurs rhumatismales.
Le préfet obtint sa mutation et c’est dans la bonne ville de Marseille que Tonton Jules allait s’octroyer une existence dorée, au sein du palais Napoléon III.
Tonton Jules passa son temps à recevoir les compatriotes connus et même inconnus, auxquels il offrait le gîte et le couvert, avant de leur dénicher un emploi.
Marie-Andrée Thibon devait s'investir dans des oeuvres de charité.
Après avoir quitté la préfecture, elle vivait avec son époux aux environs de Mazargues.
Tonton Jules fut toujours intimement lié à la famille Thibon.
Chaque année, il allait passer l'été dans leur château de Souillac.
Étant enfant, j'ai connu Jacques Thibon, le jeune frère, qui vivait à Marseille et possédait une usine de papier à cigarettes.
Monique Bellini.
Rédigé par MBGC Editions