PARLEZ VOUS CORSE ?
PARLEZ VOUS CORSE ?
«Fraté», «aio !», «il ne connaît plus la fougère» sont autant de mots et expressions du quotidien propres à l'Île de Beauté. Les connaissez-vous ?
«Au parfum de son maquis, de loin, les yeux fermés je reconnaîtrais la Corse», disait Napoléon Bonaparte.
Deux siècles après cette citation, l'Île de Beauté n'a rien perdu de sa superbe.
On ressent encore ses effluves dans sa langue.
Et quelle langue!
Celle qui fut longtemps nourrie de l'idiome et de la culture toscane, varie selon la région où l'on se situe. Comme on dit, «In corsica, tanti paesi, tante usanze», autant de villages, autant d'habitudes.
Interjections «aio!», expressions «qui a du pain et du vin peut inviter son voisin», mots du quotidien «Salute»...
● Cinq petits mots du quotidien :
On entend le mot fraté à chaque tournant de rue à Marseille et pourtant, le mot vient du corse fratellu, «frère». Une prononciation qui rappelle son étymologie.
«Frère» vient en effet du latin classique frater. À noter que si ce frère vient de France continentale, il sera désigné sous le sobriquet pinzutu, à prononcer «pinsout», qui signifie «pointu».
D'où vient ce curieux nom?
Selon Fernand Ettori, «au XIXe siècle, le Corse se définit en s'opposant à deux stéréotypes nationaux, le lucquois (lucchesu) et le pointu».
Le mot est dérivé de pinzutia, signifiant «le pays pointu».
Ici, en l'occurrence, la France.
Son origine fait encore débat aujourd'hui:
Les uns attribuent l'origine de ce sobriquet au tricorne pointu des soldats de Louis XV, d'autres au ‘‘parler pointu'' d'une langue dont l'accent tombe uniformément sur la finale, donnant une impression de sécheresse.
Il existe une interjection dont la signification varie selon le contexte: le fameux aio.
Exemple: vous êtes au bureau et décidez de prendre une pause qui se transforme en une partie de rigolade entre collègues.
Vous regardez le cadran de votre montre et voyez qu'une heure vient de passer.
«Aio, il faut qu'on aille travailler.»
Ici, l'exclamation traduit un «Bon, allez» ou «reprenons notre sérieux».
Mais il peut aussi signifier «Bouge!».
Son antonyme, aspetta, signifie «attends».
Certains adjectifs s'immiscent dans des phrases prononcées en français.
Goffu signifie «moche» ou encore, «bête».
On emploie aussi l'anglicisme «cool», «fun», le mot corse macu, «génial».
● Il ne connaît plus la fougère :
Cette expression s'emploie lorsqu'on parle de «Corses émigrés qui, revenus dans leur île, affectent d'ignorer ce qu'ils connaissaient fort bien avant leur départ».
En clair, un individu qui a oublié ses racines.
Mais alors, pourquoi la «fougère» ?
Selon Fernand Ettori, «cette manière de railler l'oublie du pays natal a pris naissance en Castagniccia (nord-est de la Corse) où cette plante est la végétation naturelle la plus répandue (...) principale et quasi unique ressource de la région.»
● Il est bête comme une narpia :
Une narpia est une grosse besace en peau de porc pour transporter à dos de mulet du grain ou des châtaignes.
L'équivalent français serait «bête comme ses pieds» ou encore, «c'est une gourde».
Cette dernière formule existe également en corse: hè una zucca. Dorma insucchitatu , «dormir d'un sommeil profond qui vide la tête comme on vide la courge pour en faire une gourde».
● Autant chercher un grain d'orobe dans la farine :
Voici la version corse de la célèbre formule «Autant chercher une aiguille dans une botte de foin».
L'orobe, u mocu, est une petite graine, voisine de la vesce.
Dans un autre contexte, l'expression se dit d'un rusé qui ne se laisse pas facilement attraper:
«Essaie donc de prouver qu'il est coupable! Tu peux toujours tenter de prendre un grain d'orobe dans la farine.»
● Changer des figues contre des sorbes :
Ce fruit millénaire est considéré comme noble et sa valeur est, par conséquent, élevée.
Contrairement au fruit du «sorbier», arbre des régions tempérées, peu estimé.
«Changer des figues contre des sorbes» est une expression qui caractérise un «marché de dupes» et fait écho à la formule française «prendre des vessies pour des lanternes».
Les vessies font référence aux vessies de porc autrefois gonflées, séchées puis transformées en un récipient.
Comme leur paroi étaient transparentes, elles étaient autrefois utilisées en lanternes.
Leur forme, pour les amateurs, était aisément semblable à celle des lanternes.
● Tu te crois sur un cheval de bronze?
Si un arrogant est trop bavard, vantant ses mérites et son talent, n'hésitez pas à lui lancer cette expression.
Efficace, elle sert à «rabattre le caquet d'un prétentieux».
La formulation est vraisemblablement née de la statue équestre de bronze, représentant Napoléon Ier entouré de ses frères sur la place du Diamant à Ajaccio.
● Je ne tolère pas de mouche sur le nez :
Le Français lui, «ne laisse pas marcher sur les pieds».
Pourquoi le Corse favorise-t-il le «nez»?
Cette partie du corps «est le siège de l'honneur viril peut-être par l'analogie que suggère Claude Duneton dans son célèbre La Puce à l'oreille.»
Il y a aussi ce proverbe Toccu lu nasu, persu l'onori, nez touché honneur perdu.
«Dans la société traditionnelle, toucher le nez (ou tirer la barbe) était une injure grave qui risquait d'être lavée dans le sang», explique Fernand Ettori.
Source : Le Figaro par Claire Conruyt et Alice Develey.