Photo : José Bianconi.

Photo : José Bianconi.

LES VEILLÉES D'AUTREFOIS.

Merveilleuses étaient les veillées d'autrefois que j'évoque, avec le recul du temps, non sans une certaine émotion teintée de nostalgie.

Notre quartier n'était pas bien grand.

Dix ou douze habitants y vivaient en parfaite harmonie.

Ces réunions avaient lieu le samedi soir, le lendemain étant jour de repos, il nous était permis, à nous les enfants, d'y participer à notre plus grande joie!

Les soirées d'hiver se déroulaient souvent chez le voisin le plus âgé.

Ces heures partagées sont celles de la nuit.

 

Inquiétante et mystérieuse, elle plante à elle seule le décor.

La nuit de nos ancêtres n'est pas la même que la nôtre.

L'électricité est rare dans les campagnes avant la Seconde Guerre Mondiale, on ne dispose pour s'éclairer que de lampes à pétrole ou à huile.

Cette clarté indigente creuse la pénombre alentour, visages et voix prennent du relief, le monde se trouble de présences fantastiques et, réuni dans cette oasis de lumière, le groupe se resserre.

Parfois, par souci d'économie, on se contente de la seule lueur du feu, car la cheminée est sans conteste l'élément central de la veillée.

Seul moyen de chauffage et de cuisson, elle est souvent si grande dans l'habitat rural traditionnel qu'on peut s'installer dedans !

Le balancement des flammes, le crépitement du bois sec d'où jaillissaient des fusées d'étincelles montant en feu d'artifice dans le trou noir de la cheminée, alimentaient mes rêves d'enfant.

 

Pour meubler la soirée, chacun racontait sa journée, car il n'y avait pas de conteur attitré.

La parole passe de proche en proche.

Les plus anciens sont les plus experts.

Ces histoires distraient, mais elles instruisent aussi et transmettent les savoirs, la culture et les valeurs de la communauté.

Les légendes traditionnelles mettant en scène stega, mazzeri, diavuli et mocu sont autant de leçons de vie pour les enfants.

On échange aussi des anecdotes, des nouvelles diverses...

Celui qui a voyagé raconte ce qu'il a vu.

Les hommes évoquent la chasse, le service militaire ou la guerre.

Ces histoires créent un lien entre les générations.

Chacun se reconnaît et reconnaît les autres dans ces récits entendus depuis l'enfance.

Au cours des veillées, la chasse alimentait souvent les conversations.

Lorsqu'il s'agissait de battue au sanglier, les esprits s'échauffaient, le ton de leur voie traduisait à la fois leur fierté et leur orgueil d'avoir ramené une grosse pièce.

J'étais suspendue à leurs lèvres et, bien que sûrement un peu «arrangés », ces récits me passionnaient toujours.

Je les trouvais fantastiques !

Vers la fin de l'année, après la récolte des olives, importante en ce temps-là, le moulin à huile du village ouvraient ses portes.

Le grand-père trouvait là matière à nouvelle anecdotes qu'il nous racontait en riant sous cape d'un air entendu.

Il s'agissait parfois d'accrochages sérieux mais jamais haineux autour de l'huile des «enfers ».

C'est que, si le Corse n'est pas avare, il est tout de même près de «ses sous », et un litre ou même simplement un demi-litre d'huile parti dans ces fameux enfers »au profit du patron du moulin était toujours regardé d'un mauvais œil.

Souvent les hommes passaient la soirée à«peler »les châtaignes pour la prochaine préparation, les femmes ravaudaient ou tricotaient les chaussettes.

Il fallait voir, malgré ses doigts noués par l'âge, mais aussi par les durs travaux de la terre, avec quelle dextérité le grand-père enlevait la première peau des châtaignes.

Il fallait voir de quels soins était entourée la confection de cette grillée de châtaignes.

Triées et choisies parmi les plus belles, elles étaient jetées dans une poêle spéciale pourvue de nombreux trous et d'une longue queue.

Surveillées avec soin, on les faisait suer »sur un lit enflammé de genêts verts, puis elles cuisaient à feu vif, secouées sans arrêt jusqu'à ce qu'elles se boursouflent et que s'écaille la première peau.

Versées ensuite dans un sac de jute, placées dans un paillasson fait de paille de seigle, liée de lanières de ronces, elles étaient bien recouvertes.

Parfois, un petit vin de chez nous aidant, les convives y allaient de leur petite chansonnette.

Un de nos voisins était sollicité pour " l'Ajaccienne ", sa chanson favorite.

Le refrain était repris en chœur par l'assistance.

Les enfants tout fiers de participer à la fête récitaient une poésie apprise en classe, et même les tout-petits voulaient être à l'honneur.

Tout ceci se passait dans une atmosphère de détente et de saine gaieté.

Ces veillées d'autrefois combien je les ai regrettées.

Jamais plus je n'ai ressenti ce calme et cette sérénité qu'on y trouvait alors.

On était heureux d'être réunis et c'était toujours avec un peu de regret qu'il fallait se quitter.

On goûtait souvent à quelques châtaignes bouillies et le maître des lieux écartait les tisons sur le bord de l'âtre.

Puis on se souhaitait bonne nuit en pensant déjà à la veillée prochaine.

Heureux temps où l'on vivait dans la simplicité de l'amitié la joie de telles réunions que les difficultés de la vie actuelle, la tyrannie de la télévision ont peu à peu fait dis-paraître.

Notre société villageoise s'est déshumanisée et c'est bien dommage !

 

Sources : : D'après la Généalogie facile N° 5 - Editions Hachette 2005. passionprovence.org et arre.fr

Photo : José Bianconi.

 

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