LA FÉE BIANCAFORE.
Il était une fois, aux temps anciens de la magie, une fée belle comme le jour et qui se nommait Biancafiore.
Elle avait la taille fine, de longs cheveux dorés et ses grands yeux étaient vert émeraude.
Biancafiore habitait une grotte secrète, tapissée de mousses et bien cachée sous une cascade du torrent qui coule au pied du Monte d’Oru.
Puissante magicienne, elle connaissait tous les mystères de la nature.
De plus, elle pouvait se déplacer instantanément, quand et où elle voulait.
Et elle ne se privait pas de voyages, tant elle était curieuse.
Ainsi, elle allait et venait sans cesse, entre crêtes et rivages, avide de découverte et toujours joyeuse.
***
Un jour de printemps, alors qu’elle était en promenade au nord de l’île, Biancafiore eut une grande surprise.
Portée par le vent léger, une musique lointaine parvenait à ses oreilles.
Un air tout simple, mélancolique et si émouvant que la fée en fut très touchée.
Elle décida alors de se rapprocher et instantanément se retrouva à quelques mètres seulement de la source sonore.
Elle connaissait l’instrument grâce auquel s’exprimait la douce mélodie.
C’était une pìrula, la flûte à bec en roseau que fabriquaient les bergers, au son doux et suave comme le miel.
Invisible, bien cachée dans un gros buisson de bruyère arborescente, Biancafiore se rapprocha un peu plus.
Elle savourait avec ravissement chacune des notes qui s’échappaient vers le ciel.
Comme toutes les autres fées, elle aimait beaucoup les improvisations de ses amis les oiseaux mais n’avait que peu d’occasions d’écouter la musique des hommes.
Le pirulaghju (joueur de pìrula) était un berger des environs qui, venu de la vallée, faisait ici paître ses brebis.
Il s’appelait Ors’Antò, Ours Antoine.
Tranquillement appuyé contre un bloc de schiste, assis dans l’herbe et les yeux fermés, il jouait une émouvante complainte.
Enveloppé dans son épais et sombre pilònu, un grand manteau en poils de chèvre, Ors’Antò semblait mettre toute son âme dans la musique.
Son visage fin, ses cheveux bruns étaient immobiles, tout comme le reste de son corps.
Seuls ses doigts semblaient danser sur les trous de sa pìrula.
Les notes qui s’échappaient de l’instrument tourbillonnaient puis se dispersaient dans l’air pur comme autant de papillons colorés et brillants.
Biancafiore, pour la première fois de sa longue vie, ressentit alors une émotion étrange, nouvelle.
Une sensation qu’elle n’avait jamais éprouvée auparavant.
La fée magicienne était subjuguée par Ors’Antò.
Bien sûr, elle connaissait la grande puissance de l’amour mais ne se doutait pas qu’un jour elle serait concernée.
Jusque-là, aucun homme ne l’avait séduite et elle-même ne s’était jamais préoccupée de cela, ayant bien trop de choses à découvrir et à faire.
Mais aujourd’hui, tout avait brusquement changé.
Biancafiore entendait son coeur battre plus vite.
Comment était-ce possible ?
Elle était vraiment fascinée par le jeune berger et se sentit, d’un coup, éperdument amoureuse.
Elle attendit patiemment la fin du concert puis, n’y tenant plus, sortit de sa cachette et s’approcha sans bruit d’Ors’Antò qui, les yeux toujours fermés, semblait rêver.
Biancafiore demeura ainsi un moment à l’observer puis la fée magicienne fit craquer une brindille et le berger se redressa d’un bond.
Il était grand et, malgré l’état misérable de son vieux pilònu rapiécé, Ors’Antò avait beaucoup d’allure.
Une sorte de distinction naturelle renforcée par un regard clair et tendre qui toucha un peu plus encore Biancafiore.
Lui aussi, à cet instant, fut très surpris par la présence de cette ravissante jeune fille surgie de nulle part.
Réfléchissant à toute vitesse, il se demandait qui elle pouvait être, avec sa longue robe blanche, toute brodée de magnifiques fleurs de soie et de fils d’or.
Ors’Antò savait que les fées existaient et il commençait à se demander si, justement, la mystérieuse inconnue n’en était pas une.
Mais Biancafiore interrompit brutalement sa réflexion et, le regardant droit dans les yeux, lui demanda :
« Beau berger es-tu pleinement heureux ? »
Ors’Antò, tombé sous le charme féerique, répondit doucement :
« Je le suis ma belle dame. »
La fée continua de l’interroger :
« Ne désires-tu rien, argent, pouvoir, longue vie ?
– Non merci, j’ai maintenant tout ce qu’il me faut », répondit Ors’Antò, certain d’avoir enfin trouvé son grand amour et qui, désormais envoûté, ne pouvait plus détacher son regard de celui de la magicienne.
« Beau berger, me trouves-tu belle ? poursuivit Biancafiore en souriant.
– Je n’ai jamais vu de créature qui puisse vous être comparée, vous êtes magnifique et je sens que déjà je vous aime », souffla Ors’Antò hypnotisé et qui sentait tout son corps trembloter, comme s’il avait la fièvre.
« S’il en est ainsi, veux-tu bien m’épouser ?
– Avec plaisir mon aimée.
– Eh bien ! Mets vite cet anneau d’or à ton doigt et nous serons mariés. »
Biancafiore tira le bijou magique d’un repli de sa robe et le tendit au berger qui, en obéissant, fut instantanément transformé : au lieu de son vieux pilonu rapiécé, il portait maintenant l’habit somptueux d’un grand et noble prince.
« Écoute, rajouta Biancafiore, mon domaine s’étend au sud, très loin d’ici ; regarde, voici une calèche attelée à des chevaux ailés, installons-nous confortablement et partons. »
Ors’Antò resta bouche bée.
Là, au milieu de son petit troupeau de brebis – qui avaient pris la fuite, apeurées – était apparu brusquement l’équipage enchanté de la fée.
Sa calèche avait une couleur bleutée, nacrée et semblait, malgré le radieux soleil de printemps, éclairée de l’intérieur.
Elle paraissait couverte de pierres précieuses et de cristaux de givre brillants.
La robe des trois superbes coursiers ailés était, elle, aussi blanche que la neige immaculée qui couvrait les plus hauts sommets.
Le spectacle était merveilleux.
Soudain, Ors’Antò pensa à sa maman, restée seule au village, là-bas, dans la vallée et il ferma les yeux.
Au même instant, le charme de la fée s’estompa et le berger retrouva sa lucidité.
Mais il avait gardé le souvenir de ce qui s’était passé.