LE HAUT TARAVO : SANCTUAIRE DE LA NATURE.
LE HAUT TARAVO : SANCTUAIRE DE LA NATURE.
Le Haut-Taravo, un sanctuaire naturel et indiscutable
Il lui fallait maintenant se rendre sur le plateau du Coscione.
Après deux nuits passées chez des cousins à Suarella, Sanvitus se résolut à partir.
Il se dirigea vers le Barracone et emprunta tranquillement la grande route sinueuse qui traverse tant de villages de montagne avant d'atteindre celui qui veille en dernier au pied du plateau: Zicavo.
Il était seul dans sa voiture.
Il avançait lentement pour ne rien perdre des nuances du paysage et celles des mentalités de chaque village dont il connaissait les réputations, les noms des familles et leurs histoires intimes si celles-ci avaient défrayé un tant soit peu la chronique.
Fort de sa perspicacité, il entrevoyait en chacun de ces villages un caractère plus précis encore, que cette fois l'histoire ou la rumeur ne racontait pas, mais dont il saisissait le sens et le souffle, souvent même à chaque hameau, parfois à chaque maison qui à elle seule représentait une race particulière, le vécu ou la personnalité d'une famille dont il déchiffrait la vie à travers le choix et le message des pierres, leur situation géographique, leur exposition solaire et, au-delà, il entendait sans paroles nécessaires ce que cette maison, entraperçue en une poignée de secondes, pouvait raconter sur ceux qu'elle recelait en ses murs.
Un fois passé le col Saint-Georges, dans le canton d'Ornano et plus encore dans celui du Haut-Taravo, nous étions alors au centre de la Corse des vendettas, celle de l'isolement royal, et le rugissement parfois grave et soutenu du vent et des torrents chantait cette violence.
Une violence qui pouvait surgir un jour en tempête et dont le paroxysme s'éloignait ensuite mais sans jamais disparaître entièrement, laissant sur les pierres des maisons qui avaient vu, une trace semblable à celle accrochée à ces falaises battues par les flots qui, même à sec, contiennent en elles-mêmes et sans rupture le travail de la mer.
En écho à ces pierres souvent sévères, il croisait certains regards d'hommes ou de femmes qui jetaient à son passage de rapides éclairs, car si Sanvitus n'avait pas emprunté cette route depuis des années et n'était en rien partie prenante dans les affaires de famille qui pouvaient se dérouler en ces villages, les personnages rencontrés, tels des arcs tendus dont la flèche prête à partir ne se range pas facilement dans le carquois, maintenaient leur vigilance coutumière même sur son passage, ne détournant définitivement la tête qu'une fois la voiture éloignée, quand Sanvitus voyait alors dans le rétroviseur que l'homme ou la femme rencontré revenait au sentiment intime et à l'exacte posture qui avaient précédé son apparition.
Il se souvenait de son premier voyage sur cette route, quand il avait dix-huit ans à peine et qu'il montait à Zicavo accompagné de son ami Pascal Léandri qui en était originaire, lequel avait alors vingt-trois ans, et dont il avait fait la connaissance fortuite au moment de son douloureux exil parisien, sur le campus de Nanterre, parce que les fées de la providence ne voulurent pas qu'il souffrît trop et parce que son destin exigeait qu'il accédât un jour à ce plateau du Coscione où, dès la première approche, il comprit que là se situait un message que la Corse se devait de délivrer au monde et dont il pourrait être un jour l'un des passeurs, des médiums ou des porte-voix.
Certainement, Sanvitus était un jeune homme libre qui choisissait toujours ses situations quotidiennes, qui n'aurait jamais pu se plier à un joug répété fait de contrainte, qu'elle soit laborieuse, politique, religieuse ou de n'importe quel ordre, car la plus petite obligation venue de l'extérieur le faisait aussitôt souffrir.
Il avait une vision trop aiguë des choses et des évènements pour ne pas les démasquer rapidement et, de ce fait, il n'était nullement en mesure de s'inféoder à quelque chose qu'il dominait trop et dont il ne pouvait plus rien apprendre, lui qui voulait sans cesse amplifier sa connaissance en sachant que le savoir du monde et celui de l'univers revêtent un caractère infini.
Extrait du livre: "La Liberté Corse".
Editions L'Harmattan.