LA GRANDE RÉVOLTE DES CORSES CONTRE GÊNES EN 1729.
Portrait de Luigi Giafferi, extrait de Louis Campi, Galerie des célébrités de la Corse [Texte imprimé] : collection de portraits historiques reproduits par le procédé Gillot d'après les originaux authentiques recueillis & publ. par Louis Campi Ajaccio : Librairie de Peretti, 1898.
LA GRANDE RÉVOLTE DES CORSES CONTRE GÊNES EN 1729.
À la base de la révolte, il y a une incompatibilité d'humeur : un peuple continental de marchands avait asservi une nation insulaire de pasteurs à l'humeur belliqueuse et n'avait rien tenté pour adoucir les mœurs.
Gênes, que les hommes n'intéressaient pas, maintint les insulaires dans une condition subalterne, leur refusant les charges et les honneurs publics.
Quelques rares individus qui avaient accédé à la culture grâce à l'Église et aux universités de Toscane et de Rome comprirent que la République n'était pas capable de mission civilisatrice et se firent les porte-drapeau de la révolution.
Au cours du XVIIe siècle, les Corses n'avaient pas causé de grands soucis à leurs maîtres.
L’agriculture ayant été développée, la protection contre les incursions barbaresques plus ou moins assurée, la paix avait régné dans l'île.
A la fin du siècle et au début du XVIIIe la situation se détériora.
Gênes aurait pu s'en inquiéter, d'autant plus que le bassin méditerranéen était un des points chauds de la politique internationale.
Mais, ayant traversé sans dommages la guerre de la Succession d'Espagne pendant laquelle les Baléares, la Sicile et la Sardaigne avaient vu leur destin se modifier, la République continua à croire en sa bonne fortune, ou, peut-être, plus simplement, en sa fortune.
C'est surtout dans le domaine de la fiscalité et dans l'application de la justice que l'administration génoise s'était dégradée.
Le droit de vendetta se substituant au droit légal, on enregistra chaque année des centaines d'homicides.
Les fonctionnaires génois, instruits dans la vénalité, n'avaient aucun intérêt à remédier à cet état de choses : le fruit de la chicane et la vente des patentes de port d'armes remplissaient les caisses de l'État et leur escarcelle.
Après bien des démarches, les Corses obtinrent, en 1715, l'interdiction des armes.
Celles-ci furent déposées.
Elles devaient être remboursées à leur juste valeur.
Le sénat de Gênes accepta de prendre cette mesure moyennant une imposition supplémentaire de deux seini (13 sous, 4 deniers) par feu, ce qui correspondait à une patente de port d'armes.
L'immoralité d'un tel échange acheva - s'il en était besoin - de discréditer les Génois.
D'ailleurs rien ne changea.
Par faveur, ou au prix fort, certaines personnes obtinrent l'autorisation de s'armer ; les autres se procurèrent des armes clandestinement, un trafic, provenant généralement de Gênes, s'étant établi dans les ports du Capicorsu.
Dès 1725, l'année de la naissance de Pasquale Paoli, on constatait une psychose de révolte dans quelques pieve de l'En-Deçà des monts.
Le gouverneur élu en 1726, Alessandro Saluzzo, sut calmer les esprits.
Son successeur, Felice Pinelli (élu le 1er avril 1728, débarqué à Bastia le 27 mai), les surexcitât par sa maladresse et sa rigueur.
Cette année-là, la récolte des céréales fut presque nulle (dans la plaine orientale on ne retira que le quart de la semence) ; celle de 1729 fut également déficitaire.
La faim est une mauvaise conseillère mais une révolte armée ne peut s'organiser en période de disette ; aussi, lorsque en automne les Corses
bénéficièrent d'une récolte de châtaignes exceptionnelle, la révolte éclata.
Elle durera quarante ans.
Des émeutes spontanées éclatent dès 1729 dans la région du Boziu.
La rébellion s’étend à la Castagniccia, la Casinca, puis le Niolo.
Les paysans ont encore à l’esprit les souvenirs cuisants de la famine de 1729 et des ravages dont elle fut la cause.
C’est donc sans trembler et poussés par une rage farouche qu’ils se tiennent face au pouvoir génois, bien décidés à faire entendre leur voix.
Ils réclament 10 000 armes, ou faute de fusils, de l’or et de l’argent.
S’engage alors une phase de négociation complexe, qui permet au gouverneur de gagner du temps et de faire embarquer le plus vite possible pour Bonifacio sa famille ainsi que les nobles de sa cour.
Une fois ses proches en sûreté, le 19 février au matin, il laisse le soin à Mgr Saluzzo d’annoncer « aux traîtres » qu’ils ne verront pas l’ombre d’une arme.
Conscient de l’effet qu’une telle annonce suscitera chez les paysans, l’évêque se jette dans la première barque venue et regagne Gênes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Voyant tout espoir de négociation s’évanouir, les paysans se rassemblent sur la colline de Monserrato.
Ils font face aux canons génois.
Sous le feu ennemi, ils sont nombreux à périr.
Au même moment, le gouverneur génois Pinelli organise la défense de la ville et il tente de chercher un appui auprès des notables.
Dans le camp adverse, on ne se décourage pas.
L’assaut est donné.
La ville est envahie de toutes parts.
Les maisons abandonnées sont occupées.
Les insurgés veulent rallier la population à leur cause.
Il faudra l’arrivée de l’évêque d’Aléria, Mgr Camillo Mari, pour que la ville connaisse un semblant d’apaisement.
Il sera néanmoins de courte durée.
Les pillages et le vandalisme reprennent.
Armes, nourriture, or et argent sont raflés.
C’est donc un Bastia en piteux état qui ouvre les yeux à l’aube du 20 février, ce conflit aux airs de guerre civile laisse derrière lui une cité exsangue.
Mgr Mari, l’air grave, dénonce dans son sermon un acte irréfléchi et nuisible aux Corses bien plus qu’au pouvoir génois.
Des paroles dures, certes, mais qui auront pour effet de calmer une partie des révoltés qui abandonneront la lutte pour retrouver leurs terres.
Fort de son image de sauveur, l’évêque Camillo Mari assure à la population qu’il portera sa voix et ses revendications jusqu’au Sénat de Gênes.
Ne voulant pas voir l’événement se reproduire, les pertes économiques étant grandes, le Sénat choisit d’envoyer Girolamo Veneroso, homme sûr et ancien gouverneur de la Corse au début du XVIIIe siècle.
Si durant les premiers temps cette nomination ne semble pas déplaire au peuple, il déchante assez vite.
La présence de Veneroso n’empêchera en rien le gouverneur Pinelli de durcir sa position.
Loin de prendre en compte les revendications qui ont poussé les paysans à la révolte, il arme la cité et engrange vivres et munitions.
Il n’y aura pas de dialogue, c’est la force qui dictera sa loi.
Mais cet événement a laissé des traces et un vent de révolte souffle désormais sur l’île.
Le sac de Bastia, que certains ont qualifié de violence gratuite ou d’acte irréfléchi, marque une réelle prise de conscience et le début de la lutte contre le pouvoir génois.
Les notables de l’île, qui se sont rangés longtemps du côté du pouvoir génois, ont fini par prendre les armes avec les paysans et, en décembre 1730, le peuple nomme trois notables corses, Luigi Giafferi, Andréa Ceccaldi et l’abbé Raffaelli d’Orenza, censés représenter les trois ordres : le peuple, la noblesse et le clergé.
Ce qui n’était au départ qu’une émeute populaire prend vite des airs de révolution politique.
Et face à cette soif nouvelle de liberté, il faudra deux années à Gênes ainsi que l’aide des soldats de l’empereur Charles VI pour que les insurgés baissent les armes.
Ce qui ne les empêchera pas, dès 1733, après le retrait des troupes impériales, de revenir à la charge dans le Rustinu, dirigés par Giacintu Paoli, qui n’est autre que le père de Pasquale.
Un deuxième soulèvement qui mènera en janvier 1735, à Orenza, à la séparation définitive de Gênes avec l’île et à la naissance de la Constitution corse.
Source : CHRONOLOGIE RECUEILLIE PAR : ANTOINE DOMINIQUE MONTI. ADECEC. 1979;
Et : Laura Léoni. L'Humanité.
Luigi Giafferi (1668-1748) est l'un des principaux « pères fondateurs de la Nation corse ».