Tableau peint en 1810 par le baron Antoine-Jean Gros (1771-1835)

Tableau peint en 1810 par le baron Antoine-Jean Gros (1771-1835)

PRISE DE MADRID EN 1808.
 

D’après « Histoire des armées françaises de terre et de mer » – Abel Hugo – 1838

 

Le corps du maréchal Ney fit, le lendemain de la victoire de Somo-Sierra, sa jonction avec l’armée du centre.

Vingt-quatre heures après, l’Empereur, suivi de la cavalerie de sa garde et des deux divisions de dragons des généraux Laboussaie et Latour-Maubourg, partit pour se porter sur les hauteurs d’où l’on découvre Madrid en arrivant par la grande route de Castille.

Les troupes firent éclater leur enthousiasme, quand, à la vue de la capitale, elles se rappelèrent que ce jour, le 2 décembre, était le double anniversaire du couronnement et de la bataille d’Austerlitz.

Madrid était dans un état d’effervescence extraordinaire.

Depuis huit jours, on travaillait à barricader les portes et les rues.

La population tout entière était appelée aux armes par les prêtres qui faisaient sonner toutes les cloches des églises que cette ville renferme en si grand nombre.

Des campagnes environnantes, étaient arrivés plus de 40000 paysans, pour se joindre aux 8000 hommes de troupes réglées, chargées de défendre la capitale, sous le commandement du général Morla.

Sur les points les plus importants, on avait distribué cent pièces de canon.

Mais toutes les précautions nécessaires avaient été négligées, en partie, par suite de la rivalité qui s’était élevée entre les autorités civiles et militaires, et au lieu de s’entendre dans l’intérêt commun, on passait le temps à discuter sur de misérables prérogatives.

Une mésintelligence, non moins grande, régnait parmi les habitants, qui étaient divisés en deux partis.

L’un composé des militaires, des levées extérieures et de la classe pauvre, soumise à l’influence du clergé, voulait se défendre jusqu’à la dernière extrémité.

L’autre, formé des habitants riches et des marchands qui tremblaient pour leur fortune ou leurs propriétés, ne voulaient pas que la ville, par une défense inutile, s’exposa à toutes les horreurs de la guerre.

Le parti qui inclinait pour la défense, était le plus fort et le plus nombreux.

De plus, il était maître du château royal du Retiro, bâti sur une hauteur qui domine la ville et pourvu de quelques fortifications faites à la hâte.

Un aide de camp du maréchal Bessières, envoyé dans la ville, par ordre de l’Empereur, pour sommer les autorités d’ouvrir les portes à l’armée française, eût été massacré par la populace sans un détachement de troupes de ligne qui le reconduisit aux avant-postes français.

La Junte militaire envoya un officier général, porter la réponse à la sommation.

Par cette réponse, la Junte déclarait que la population entière de Madrid était résolue à s’ensevelir sous les ruines de cette capitale plutôt que d’en permettre l’entrée aux Français.

30 hommes des plus déterminés de la milice citoyenne accompagnèrent l’officier chargé de cette mission, afin de le surveiller et d’être bien assurés qu’il ne se ferait rien de contraire à ce qu’ils voulaient.

Les Français eurent bientôt, sur la situation intérieure de la ville, des détails qui leur furent donnés par quelques déserteurs des gardes wallonnes.

Ils apprirent qu’un général espagnol, le marquis de Paralès, qui avait joui jusque-là de la faveur publique, avait été tué par le peuple qui l’accusait d’avoir fait mettre du sable dans les cartouches.

On l’avait étranglé.

Son corps avait été mis en pièces, ses membres coupés et portés dans tous les quartiers de la ville.

On était entrain de refaire toutes les cartouches, et 4000 moines, renfermés dans le Retiro étaient chargés de ce travail.

L’armée du centre n’étant plus qu’à deux lieues et demie de Madrid, Napoléon fit la reconnaissance d’une partie des environs de la ville, pour disposer son attaque.

A sept heures du soir, une des divisions du duc de Bellune arriva au quartier général, qui était établi au village de San-Augustino, et l’Empereur donna aussitôt l’ordre au général Maison de se porter avec sa brigade sur les faubourgs situés du côté de la route de France et de s’en emparer.

Le général Lauriston, avec quelques escadrons et quatre pièces d’artillerie légère de la garde, devait soutenir et protéger ce mouvement.

Bientôt, un feu très vif s’engagea à l’entrée des faubourgs.

Les premières maisons et un grand cimetière furent presque aussitôt au pouvoir des Français.

Le reste du corps du duc de Bellune prit position pendant la nuit, et l’on garnit d’artillerie tous les points désignés par l’Empereur.

Le prince Berthier, major général, envoya à minuit, dans la ville, un lieutenant colonel d’artillerie fait prisonnier à Somo-Sierra.

Cet officier était porteur d’une lettre pour le marquis de Castellar, dans laquelle Berthier l’engageait à ouvrir ses portes et à ne pas exposer la capitale à toutes les horreurs d’un assaut.

Le parlementaire revint au quartier général français, le 3 décembre, à 9 heures du matin, avec la réponse du président de la Junte, qui demandait au major général une journée de suspension, pour avoir le temps de consulter les autorités constituées et de connaître les dispositions du peuple, s’engageant à envoyer sa réponse la nuit même, ou le lendemain matin.

Avant que la réponse à cette demande pût être donnée, trente pièces d’artillerie, qui foudroyaient le Retiro depuis quelque temps, y avaient fait une brèche par laquelle des voltigeurs de la division Vilatte passèrent, suivis de leur bataillon.

Bientôt une nuée de soldats français se répandit dans l’intérieur de cet établissement royal, en culbuta la garnison, et s’empara successivement de l’Observatoire, de la grande caserne, de la manufacture de porcelaines, de l’hôtel de Médina-Celi et de tous les débouchés que l’on avait retranchés.

Pour détourner l’attention de l’ennemi, on avait, en même temps, fait une fausse attaque sur un autre côté de la ville, contre laquelle on dirigeait le feu terrible de vingt pièces, tant de canon que d’obusiers.

Ces deux attaques répandirent la terreur et la confusion dans la ville.

De nombreux déserteurs, accourus aux avant-postes français, donnèrent avis que l’on avait crénelé un grand nombre de maisons ; que, dans les principales rues, on avait élevé des traverses, formé des barricades dans plusieurs autres, et matelassé les fenêtres.

Les Français étaient maîtres du Retiro, d’où ils pouvaient foudroyer toute la ville, et de la grande rue d’Alcala qui leur ouvrait l’accès de la place centrale de la Puerta del Sol.

Cependant ils ne s’avancèrent qu’avec les plus grandes précautions.

Le feu cessa partout à onze heures du matin, et Berthier envoya au marquis de Castellar, un nouveau parlementaire porteur d’une nouvelle sommation dans laquelle on cherchait à faire comprendre aux Espagnols tous les malheurs que leur obstination pourrait attirer sur la ville.

Cette sommation se terminait ainsi :

« Défendre Madrid est contraire aux principes de la guerre et inhumain pour les habitants.

Une artillerie immense est en batterie.

Des mineurs sont prêts à faire sauter les principaux édifices.

Des colonnes sont à l’entrée des débouchés de la ville, dont quelques compagnies de voltigeurs se sont rendues maîtres.

Mais l’Empereur, toujours généreux dans ses victoires, suspend l’attaque jusqu’à deux heures.

La ville de Madrid doit espérer protection et sûreté pour ses habitants paisibles, pour le culte, pour ses ministres, enfin l’oubli du passé.

Arborez un pavillon blanc avant deux heures, et envoyez des commissaires pour traiter de la reddition de la ville ».

Le marquis de Castellar envoya un membre de la Junte militaire et un député de la ville au quartier général français, pour demander une suspension d’armes pendant toute la journée, afin que les autorités eussent le temps de faire entendre raison au peuple.

Berthier présenta ces envoyés à l’Empereur qui les reçut fort durement, mais qui leur accorda cependant jusqu’au lendemain, six heures du matin.

« Revenez alors, leur dit-il, si vous n’avez à me parler du peuple, que pour m’apprendre qu’il s’est soumis.

Sinon, vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes ».

Pendant ces pourparlers, le peuple et la milice continuaient une vive fusillade par les fenêtres des maisons qui bordent le Prado.

Plus de 40000 hommes, la rage au cœur, parcouraient les rues en accusant les chefs de trahison et de lâcheté, et en demandant qu’on les menât au combat.

Dans l’impossibilité de ramener ces hommes, le marquis de Castellar profita de la nuit pour sortir de la ville avec presque tous les officiers généraux, les troupes de ligne et seize pièces de canon.

Presque tous les révoltés se dispersèrent, quand ils eurent connaissance de cette retraite, de telle sorte qu’il ne resta plus guère dans Madrid que les gens tranquilles et disposés à subir la loi du vainqueur.

Au jour et à l’heure fixés par Napoléon, les envoyés espagnols revinrent au quartier général annoncer que les habitants paisibles se soumettaient à tout ce qu’il plairait à l’Empereur d’ordonner ; mais que la populace était dans la plus grande agitation, et qu’il convenait de prendre contre elle des mesures efficaces.

Le général Belliard fut aussitôt nommé gouverneur de Madrid, où il entra à 10 heures, et fit à l’instant occuper tous les postes.

L’effervescence se calma comme par enchantement.

Chacun reprit ses affaires, les boutiques se rouvrirent, enfin rien ne resta plus des préparatifs d’une défense qui menaçait d’être si longue et si opiniâtre.

Cette tranquillité ne fit pas négliger les précautions, et, pendant plusieurs jours, les chevaux de la cavalerie restèrent sellés, comme si on eût été en présence de l’ennemi.

Napoléon ne voulut point entrer dans la capitale espagnole. Il s’établit avec sa garde à une lieue de la ville, sur les hauteurs de Chamartin.

 

Source : D’après « Histoire des armées françaises de terre et de mer » – Abel Hugo – 1838.

 

 

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