Le grand départ....exposition musée de #Bastia les corses et les #migrations

Le grand départ....exposition musée de #Bastia les corses et les #migrations

      CORSE.
MIGRATIONS ET PRATIQUES POLITIQUES DE 1870 à 1914.    

Dès la fin du XIXe siècle, la Corse connaît un important mouvement migratoire, conséquence d’une situation économique et sociale relativement difficile.

Lors de la dépression de l’agriculture française de la fin du XIXe siècle.

Dominique Barjot, Histoire économique de la France au XIXe…,

L’économie insulaire, dont l’essentiel repose sur l’agropastoralisme, s’effondre et le marasme affecte l’ensemble de la société.

Compte tenu des conditions de vie délicates, l’émigration, sur le continent ou aux colonies, va ouvrir de nouveaux horizons pour des Corses en quête de progression sociale, notamment en termes d’emplois proposés dans la fonction publique ou dans l’armée.

2 000 départs par an sont en moyenne enregistrés à partir de la fin du XIXe siècle.

Toutefois, le mode et le jeu des pratiques politiques, le sentiment d’appartenance et d’identité communautaires, ainsi que l’étroitesse des relations familiales, permettent la préservation des liens entre migrants et non-migrants.

L’émigration ne correspond pas à une rupture radicale avec l’île.

Pour les migrants, leurs degrés d’attachement à leur terre et, d’une manière plus générale, à leur identité se concrétisent notamment par la volonté de conserver leurs droits électoraux dans l’île.

Entre 1870 et 1914, les luttes pour la mise en place du régime républicain dans l’île, conjuguées à la passion des Corses pour la politique, sont à l’origine de l’implantation de diverses formes de structures de solidarités partisanes sur les lieux même de la migration.

Dans quels buts sont-elles créées ?

Quels rôles jouent-elles en périodes électorales ?

Enfin, malgré l’éloignement, de quelles manières contribuent-elles en Corse à une progressive acculturation des masses rurales aux idées et méthodes nouvelles de la politique ?

Des structures de solidarité multiples

Pour les populations qui choisissent l’exode, les départs s’effectuent d’une manière générale vers les villes situées dans les départements de la France méridionale et ceux de la région parisienne.

Au début du XXe siècle, les Corses sont présents dans de nombreux départements.

Ils sont environ 34 500 dans les départements de la France méridionale,          5 000 dans la région parisienne et 5 600 dans les autres départements.

5 Néanmoins, d’autres destinations sont également privilégiées.

Certains n’hésitent pas à émigrer vers les départements d’Afrique du Nord ou vers des contrées encore plus lointaines de l’Empire colonial français.

En Corse, le fonctionnement des structures politiques, établi sur la base d’un clientélisme social ancien, permet aux élites politiques locales de devenir de précieux intermédiaires pour les « candidats au départ » 

 

Les migrations de « proximité », qui correspondent à une aire de rayonnement à l’intérieur du bassin méditerranéen, contribuent ainsi à renforcer le pouvoir notabiliaire.

Durant la IIIe République, lors des consultations électorales, l’obtention d’un emploi hors de l’île, contre celui d’un bulletin de vote, fait partie intégrante du jeu et des pratiques politiques insulaires.

À la fin du XIXe siècle et durant les premières années du XXe siècle, des structures politiques sont constituées dans les villes où s’établissent les migrants.

Toutes les pratiques et les mises en scène du politique des Corses installés hors de l’île sont dès lors relatées dans les moindres détails par la presse insulaire, comme le souligne, en 1891, le journal Le Drapeau, lors de la création d’un cercle bonapartiste dans la cité phocéenne :

« Hier soir, les Corses habitant Marseille se trouvaient réunis au nombre de 500 environ dans une des salles du Café Méridien pour discuter sur leurs intérêts communs. Après les discours de messieurs Cerati, Murzi, Pietri, Delfini, Papi, Valéri, Zuccarelli, l’assemblée a voté par acclamation un ordre du jour tendant à fonder un organe indépendant destiné à défendre leurs intérêts. La fondation d’un cercle a été décidée. » 

 

Dans une logique d’affrontements politiques et idéologiques, des cercles et des comités électoraux sont créés dans les villes du bassin méditerranéen.

Durant cette période, 6 cercles et 3 comités sont créés à Marseille, 10 cercles sont constitués à Toulon, 2 comités sont créés à Nice et enfin, 1 comité est mis en place à Sète.

Cette répartition est uniquement fondée à partir des principaux quotidiens et hebdomadaires parus en Corse entre 1870 et 1914.

Les groupements sont d’ordre politique et se positionnent, par l’intermédiaire de leurs titres évocateurs, comme le Cercle des républicains corses de Toulon, le Comité pour l’Union républicaine de la colonie corse de Paris ou encore le Comité bonapartiste des Corses de Constantine, dans un contexte plus national qui est celui des oppositions et des luttes pour l’enracinement du régime républicain.

À Toulon, entre 1883 et 1889 - période qui correspond aux années fondatrices de la République - le combat politique voit ainsi la constitution de dix cercles animés essentiellement par des Corses et pour la Corse.

Il s’agit du Cercle des républicains corses, du Cercle Sampiero Corsu, du Cercle de l’union Corse, du Cercle de l’avenir corse, du Cercle des Corses indépendants, du Cercle du Général Abbatucci, du Cercle des frères corses, du Cercle des socialistes corses et du Cercle Sambucuccio.

 

La création de ces différentes structures partisanes sur les lieux de la migration est renforcée par le biais d’une presse qui se définit comme le trait d’union avec les populations demeurées dans l’île.

Pour ces différents organes de presse, les sujets traités concernent, en priorité, la vie politique en Corse et les diverses actions à y mener concernant son relèvement économique et social.

De 1874 à 1914, 31 journaux sont créés par les Corses de « l’extérieur ».

Les aires de parution sont majoritairement méditerranéennes.

Citons notamment La Corse, L’Avenir de la Corse et La Corse sur le littoral méditerranéen, qui paraissent à Marseille, L’Écho de la Corse à Toulon, ou encore La Petite France et L’Union Générale des Corses et des Amis de la Corse qui sont publiés à Tunis.

D’autres titres paraissent cependant en dehors du bassin méditerranéen.

C’est notamment le cas, à la fin du XIXe siècle, de La Corse imprimée à Paris.

Une étude des journaux publiés à l’extérieur de l’île reste à entreprendre.

Durant cette période, les Corses sont également présents à Philippeville, Konakry, Saïgon ou Haïphong.

Les comités et les cercles ne sont pas les seuls lieux d’organisation de réseaux politiques.

Les solidarités s’organisent également au sein de structures que Maurice Agulhon définit comme étant des espaces de la « sociabilité coutumière », c’est-à-dire des lieux qui servent de rendez-vous et où les individus ont l’habitude de se rencontrer.

Ce sont généralement les cafés, mais aussi les différentes boutiques des commerçants et des artisans.

En 1921, l’avocat Paul Corticchiato, dans un ouvrage sur la présence des Corses à Marseille durant les premières années de la République, décrit le magasin de son père comme un espace important de sociabilité pour une partie de la communauté corse. Il le présente également comme le principal lieu de rendez-vous des notabilités politiques de passage dans la cité phocéenne :

« Nous recevions périodiquement la visite de M. Galloni d’Istria. Député d’abord, sénateur ensuite, il ne manquait jamais de venir déjeuner avec nous quand il traversait Marseille. » 
 
Paul Corticchiato, Les Corses et le parti bonapartiste à Marseille en 1870 et pendant les premières années de la République, Marseille, Imprimerie Méridionale, 1921.

Les structures de sociabilité deviennent ainsi des points d’ancrage nécessaires à la mise en fonctionnement de solidarités partisanes, notamment lors des périodes électorales.

Les Corses de « l’extérieur » constituent un quota d’électeurs non négligeable pour les élites politiques.

En 1874, à Marseille, Jean-Baptiste Franceschini-Pietri, ancien secrétaire de l’empereur Napoléon III et conseiller général de l’Île-Rousse, soutient, auprès de la population émigrée, la candidature du prince Charles Bonaparte dans le canton d’Ajaccio, lors des élections du Conseil général de la Corse.

Cette pratique électorale n’est pas caractéristique des seules premières années de la République.

Lors des élections législatives de 1914, Célestin Caïtucoli, candidat dans l’arrondissement de Sartène, effectue également sa tournée électorale dans les principales villes bordières du bassin méditerranéen.

À Marseille, par l’intermédiaire des quotidiens locaux, il invite les Corses partisans de sa candidature à venir assister à la présentation de son programme dans l’une des salles du café de la Bourse.

L’Union républicaine, 10 avril 1914..

Des pratiques politiques spécifiques aux migrants

Dans les villes d’adoption, le tissu villageois traditionnel, régi selon les règles du bipartisme et du patronage politique, est reconstitué au sein des quartiers.

Le registre des fidélités acquises, en échange des services rendus, est dès lors reproduit.

Ainsi, en périodes de scrutin, il est fréquent que les Corses électeurs de « l’extérieur », retournent dans l’île pour participer, auprès du candidat, aux nombreuses et obligatoires tournées électorales.

Lors des élections législatives de 1889, le journal parisien Le Matin, qui considère un tel comportement politique comme une spécificité insulaire, publie sous le titre évocateur « Une caravane électorale », le compte-rendu du banquet offert par les Corses résidant à Paris à Emmanuel Arène.

Emmanuel Arène est député de la Corse de 1881 à 1904 et sénateur de la Corse de 1904 à 1908.

Il est le principal artisan de la républicanisation de la Corse.

Cf. Jean-Paul Pellegrinetti et Ange Rovere, op. cit.candidat républicain modéré à la députation dans l’arrondissement de Sartène :

« Sur les soixante convives du banquet, une quarantaine environ part ce soir avec leur candidat et trois ou quatre wagons ont été retenus, en conséquence, au rapide de Marseille. Il est juste d’ajouter que les amis de M. Jacques Abbatucci parti il y a une quinzaine de jours, l’avaient également accompagné et font en ce moment la tournée avec lui dans l’arrondissement de Sartène […]. Si tous les départements en faisaient autant, il ne resterait plus ce mois-ci à Paris que les Parisiens purs ! C’est-à-dire plus personne ! » 

Les migrants, pour qui les retours temporaires en Corse constituent à la fin du XIXe siècle un important investissement financier, bénéficient également d’une gratuité de passage sur les bâtiments effectuant les liaisons maritimes, en contrepartie d’une participation active le jour du scrutin.

En 1881, le maire républicain de Bastia, Auguste Stretti , dans un rapport à la Chambre des députés, dénonce le fonctionnement des méthodes utilisées par le parti bonapartiste :

« Des marins qui habitent Marseille et qui, nous assure-t-on, sont inscrits sur les listes électorales de cette ville, ont été mandés en toute hâte pour prendre part au vote. Il vous appartiendra d’abord Messieurs, de dire si cette double inscription ne constitue pas une violation flagrante de la loi […] c’est la situation qui a été faite à ces électeurs dont les noms, contrairement au règlement, ne figuraient même pas sur la feuille des voyageurs. On s’était borné à inscrire cette mention : cent quatre-vingts marins ouvriers électeurs. On aurait dit vraiment que c’était la traite des blancs qu’on pratiquait dans notre ville. » 
 

 

Durant les premières années de la IIIe République, la Compagnie de navigation Joseph Valéry, sénateur bonapartiste de la Corse de 1876 à 1879, possède le monopole des transports maritimes.

Elle devient ainsi un relais important et permanent dans la construction des réseaux de solidarités politiques.

Les transactions électoralistes s’établissent en même temps sous un aspect festif.

Dans l’île, ce type de pratiques politiques accentue les divisions entre bonapartistes et républicains, qui n’hésitent pas, en 1876, à l’image de Mathieu Luciani, électeur à Brando, de le signaler à la Chambre des députés réunie à Versailles :

« La commune de Brando renferme un grand nombre de marins et ouvriers employés à Marseille dans la compagnie de navigation Valéry. Le lundi qui a précédé l’élection un bateau à vapeur de la dite […] compagnie les a débarqués au nombre de 43 à Bastia. Ils sont arrivés à Brando fanfare en tête et ont été mis en contravention par le commissaire de police pour tapage nocturne. Pendant six jours, ils ont sillonné le canton avec fanfare et drapeau en tête. La compagnie leur a payé le voyage, la nourriture et la boisson. Ce spectacle se renouvelle depuis 20 ans. La compagnie débarque sur tous les points menacés des électeurs inscrits en Corse et à Marseille. » 

 

Les diverses manifestations et usages politiques des fêtes contribuent, dans la mise en place des solidarités électorales, à renforcer les liens existant entre migrants et non-migrants.

Ainsi, le soir du scrutin, la victoire procure un sentiment d’exultation dont les signes perceptibles sont identiques aussi bien en Corse qu’au sein des populations émigrées.

À Marseille, en 1874, lors de l’élection de François Morelli dans le canton de Bocognano, un feu de joie est allumé sous les fenêtres de son domicile où des boissons et de la nourriture sont offertes, selon la tradition insulaire, aux parents et aux amis qui ont soutenu sa candidature.

François Morelli, originaire de Bocognano et directeur d’une compagnie de navigation, est élu conseiller général républicain du canton de Bocognano de 1874 à 1881 et sénateur de la Corse de 1889 à 1892.

Les candidats élus se doivent également de participer aux fêtes et aux banquets qui, hors de l’île, clôturent les périodes électorales.

Ce type de manifestations politiques des Corses « de l’extérieur » est alors relaté par la presse insulaire qui, à l’image du Bastia-Journal, publie, en 1910, le compte-rendu d’un banquet corse à Lyon, saluant la victoire au Conseil général de Léon Gistucci dans le canton de Bastelica .

Léon Gistucci, professeur agrégé à Lyon, est élu conseiller général radical-socialiste du canton de Bastelica de 1910 à 1914. :

« Plus que partout ailleurs, les Corses de Lyon par des sentiments d’une solidarité affectueuse et toujours avenante s’imposent à l’attention publique […]. C’est ainsi que le dimanche 30 octobre dernier sur la délicate initiative de l’éminent docteur Stéfani, ancien interne lauréat des hôpitaux de Lyon, un banquet d’un caractère tout intime était offert à M. Léon Gistucci, professeur au lycée Ampère, à l’occasion de son élection au Conseil général dans le canton de Bastelica. » 
 

À la fin du XIXe siècle, chaque campagne électorale devient, pour une partie des migrants, un terrain d’expression permettant d’affirmer leur solidarité quant au choix des hommes élus, mais également de saluer les progrès de l’idée républicaine en Corse.

En 1893, lors de l’élection à la députation d’Emmanuel Arène dans l’arrondissement de Sartène, des télégrammes émanant de différents cercles et comités de Corses émigrés sont publiés par la presse insulaire républicaine :

« Le Cercle de l’Union corse de Toulon vous félicite de votre éclatant succès et vous demande instamment de passer par Toulon où vos compatriotes seront heureux de fêter avec vous la victoire de la République. »
« Les Corses de Dijon réunis à l’hôtel de la Cloche boivent à la santé du vaillant député de Sartène, triomphant de toutes les grandes familles coalisées. Nous saluons en vous le porte-drapeau de la démocratie, l’enfant du peuple acclamé par le peuple ! Vive Sartène ! Vive la Corse ! Vive la République ! » 
 

 

Pour la population qui a choisi l’exode, l’implantation de la République est essentielle pour le relèvement économique et social de la Corse.

Le choix des élites politiques s’avère ainsi déterminant pour l’enracinement des principes démocratiques.

Étienne Conti, secrétaire particulier de Napoléon III, est député de la Corse de 1871 à 1872 et conseiller général du canton de Sainte-Marie-Sicchè de 1871 à 1872..

En 1872, lors du décès du parlementaire Étienne Conti, un Comité de Corses républicains de Marseille adresse à leurs compatriotes, parents ou amis, une mise en garde contre les notabilités qui se définissent comme les héritières du Second Empire :

« Chers frères de la Corse, vous sauverez la Patrie, en écartant à tout jamais les hommes qui l’ont perdue et en nommant pour vous représenter des citoyens honorables, des républicains éprouvés, dignes de la Corse, dignes de la Patrie sur lesquels vous puissiez compter, pour faire de notre chère île, ce qu’elle fut jadis, le boulevard de la République, l’asile de l’indépendance […]. L’Empire napoléonien est mort, la monarchie est morte, les morts on les enterre. La République c’est la vie, c’est le travail, c’est la justice, c’est la paix, c’est le bonheur, c’est la gloire de la patrie. Voulez-vous vivre ou mourir ? » 
 

 

Par le biais d’une presse locale partisane, les Corses de « l’extérieur » témoignent de leur engagement idéologique malgré l’éloignement géographique.

Lors des diverses luttes politiques, le registre des fidélités clientélistes et le jeu de la parenté leur permettent de maintenir une reconnaissance au sein du tissu communautaire.

En 1889, lors des élections législatives, les membres du Cercle de l’Union corse de Toulon, originaires de l’arrondissement de Calvi « s’invitent » dans la campagne électorale :

« Les membres du Cercle de l’Union corse originaires de l’arrondissement de Calvi, reconnaissant que la candidature de M. Toussaint Malaspina, enfant du peuple et de Belgodere, est la seule véritablement digne des suffrages des électeurs de la Balagne, invitent de concert avec tous les autres membres du cercle, leurs parents et amis de la Balagne à voter en masse pour M. Malaspina, sur le nom de qui doit s’affirmer le triomphe de la cause républicaine. » 
 

 

Étienne Leca est conseiller général radical du canton de Soccia de 1883 à 1889.

Cette volonté d’insérer les territoires du politique, en dépit de la migration, se manifeste également lors de certaines élections où des candidatures sont imposées aux communautés villageoises.

Aux élections législatives de 1885, Étienne Leca, géomètre en chef au cadastre de Constantine, stipule, dès le début de sa profession de foi, que :

« cédant aux nombreuses sollicitations de nos compatriotes de Constantine », il s’est décidé à poser sa candidature aux élections législatives de la Corse.

Le Journal de la Corse, 18 août 1885..

Dans l’île, dès les premières années de la République, ce type d’engagement anime le débat politique et suscite, de la part des élites locales traditionnelles, des formes de contestation et de rejet.

S’appuyant sur une légitimité créée par la sédentarité, mais qui, en fait, n’est que l’expression des oppositions entre jéromistes et rouhéristes, Le Patriote publie, en 1872, à la suite d’une recommandation émanant du Comité bonapartiste de Constantine, un article dont la teneur est explicite :

« Des hommes qui ont quitté le pays, nous ne savons pas pourquoi, prétendent tracer une ligne de conduite aux électeurs présents, dicter des choix, enfin donner le mot d’ordre à la Corse. » 
 

 

Une progressive acculturation des communautés rurales insulaires à la République

Toutefois, la mise en place des solidarités partisanes entre résidents et non-résidents est synonyme, dans l’île, d’acculturation politique des communautés rurales.

Les bonapartistes utilisent ce type de réseaux électoralistes pour mettre l’accent sur l’imagerie conservatrice.

La propagande impérialiste est orchestrée par des hommes qui, en dehors des périodes de consultations électorales, ne résident pas dans l’île.

Lors de la crise du 16 mai 1877, les républicains originaires de l’arrondissement de Sartène dénoncent, de façon explicite, les agissements et les méthodes du parti bonapartiste, dans un rapport envoyé aux membres de la Chambre des députés :

« Le sieur Paul Pietri ancien employé de la Préfecture de police, actuellement employé au chemin de fer de l’Ouest, est venu exprès de Paris quelques semaines avant les élections avec des portraits de Napoléon IV, qu’il distribuait publiquement sans être inquiété par l’autorité, faisait une propagande des plus actives et annonçait partout comme imminent le retour de l’Empire. Il promettait des emplois et disait à ceux qui avaient des enfants employés à Paris, de voter pour le candidat officiel, les menaçant dans le cas contraire de faire perdre leur place à ceux-ci. » 
Le Patriote, 13 janvier 1872. Le Patriote est un hebdomadaire bonapartiste jéromiste.

 

Durant les premières années de la IIIe République, la Corse constitue un véritable bastion bonapartiste.

Héritier de l’Empire, le pouvoir notabiliaire, dont l’assise sociale repose sur la détention de ressources foncières, possède une aire d’influence qui lui permet de cristalliser et de contrôler des réseaux électoraux, aussi bien dans l’île qu’à l’extérieur.

Cette reconnaissance sociale, à la source de son pouvoir, est à la base de l’organisation et de l’encadrement des diverses structures de sociabilité constituées dans les villes (France continentale ou Maghreb) où s’installent les migrants.

À Paris, le bureau directionnel du Comité de l’Union des Corses est, en 1885, uniquement composé de membres issus des grandes familles corses du Second Empire qui occupent une fonction politique dans l’île.

Créé le 29 novembre 1883, le Comité de l’Union des Corses à Paris compte 170 adhérents.

Au siège du comité est archivée quotidiennement la presse insulaire.

Le bureau est composé du vicomte Raphaël de Casabianca, député bonapartiste de la Corse de 1877 à 1881 ; du comte de Benedetti, conseiller général bonapartiste du canton de Nonza de 1877 à 1889 ; de Jacques Abbatucci, député bonapartiste de la Corse en 1885 et d’Ernest Arrighi de Casanova, député bonapartiste de la Corse de 1876 à 1881.

Cf. Le Pascal Paoli des 9 mars 1884 et 28 juin

Ces positions stratégiques leur confèrent une aisance nécessaire pour orchestrer la propagande électoraliste.

Ce type de pratiques politiques se rencontre également à Marseille où Paul Corticchiato précise qu’en 1871 un comité bonapartiste est créé dans l’atelier de son père, en relation avec les instances impérialistes parisiennes et celles de Chislehurst.

Pour les communautés rurales insulaires, l’apprentissage de la République s’inscrit dans la constitution de formes nouvelles de sociabilité.

À partir des années 1880, l’île connaît une période d’organisation politique, par le biais de création de comités électoraux républicains.

De 1880 à 1905, 186 comités républicains sont créés en Corse.

La cristallisation des forces de gauche, utilisée par les élites politiques à l’échelon communal, permet d’instaurer un contre pouvoir aux notabilités conservatrices qui détiennent le pouvoir politique villageois.

Cette structuration des formes de sociabilité est également organisée par des éléments du parti républicain qui, pour des nécessités privées ou professionnelles, ne sont pas domiciliés en Corse.

De 1879 à 1893, près de 20 % des conseillers généraux républicains exercent des professions juridiques ou médicales dans des villes du sud de la France ou dans la capitale.

De 1871 à 1893 également, 35 % des parlementaires républicains ne résident pas en Corse.

Ils participent, dans une forte majorité (86 %), à la création des comités dans leur commune d’origine.

La volonté de reproduire des pratiques et des méthodes nationales, en milieu insulaire, s’articule ainsi sur une solidarité partisane « à attachement ».

Elle permet, en outre, de jouer un rôle d’éducateur civique dont la finalité est de répandre l’exercice du suffrage universel.

À la fin du XIXe siècle, la structuration du mouvement migratoire mis en place par l’intermédiaire de divers groupements associatifs, dans les villes drainant la majorité des insulaires, favorise également une intégration progressive à la vie politique de la cité.

Bien qu’inscrits, pour la plupart, sur les listes électorales de leur village natal, la passion de la politique et la recherche d’intérêts et de faveurs clientélistes poussent les Corses à insérer les sphères de la politique sur leur nouvelle terre d’accueil.

Lors des scrutins électoraux, des choix sont émis en faveur de certaines candidatures.

En 1893, les Corses de Marseille fondent le Comité électoral corse pour soutenir la candidature républicaine de Paul Peytral dans la première circonscription.

La Corse républicaine, 20 août 1893. Paul Peytral est député radical (1881-1894) puis sénateur (1894-1919) des Bouches-du-Rhône.

Il sera également sous-secrétaire d’État puis ministre à quatre reprises entre 1886 et 1914.

Sur les lieux de la migration, cette occupation de l’espace politique conduit les représentants des structures électoralistes locales à multiplier les échanges et les rapports avec ceux des communautés insulaires émigrées.

Une redéfinition des activités politiques, ainsi qu’une répartition des rôles, intervient dès lors progressivement.

Les résolutions prises, au mois d’avril 1898, par le Cercle général Paoli à Toulon et publiées par le Bastia-Journal, illustrent très clairement ces efforts d’organisation et d’engagements :

« Le Cercle général Paoli a décidé, à la majorité des membres présents, d’envoyer deux délégués, les citoyens Siabelli et Scoffoni, au comité républicain radical-socialiste pour soutenir la candidature du citoyen J.-B. Abel, député sortant. Une collecte, faite parmi les membres du cercle, en faveur des grévistes de La Seyne a produit une somme de 5 fr. 50 qui sera versée au comité de la grève. » 
 

 

Progressivement, cette double appartenance politique suscite, chez nombre d’insulaires, la volonté d’engager une carrière politique sur les lieux de la migration.

Certains bénéficient également d’une fonction importante au sein de comités directionnels d’associations campanilistes, philanthropiques, syndicales ou partisanes.

Cette reconnaissance crée ainsi une légitimité nécessaire dans l’élaboration des réseaux de solidarités agissantes.

À Marseille, à partir de 1895 et jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les Corses commencent à s’implanter au niveau de la scène politique locale en intégrant, dans un premier temps, le Conseil d’arrondissement.

En 1895, François Bernardini, candidat socialiste et originaire de Talasani, est élu conseiller d’arrondissement dans le troisième canton.

En 1901, trois candidats d’origine insulaire accèdent aux sièges de conseillers d’arrondissement : le socialiste François Taddei, tapissier en meubles ; André Saravelli, originaire de Calenzana, propriétaire d’un entrepôt de vins à la Joliette et Ignace Ceccaldi, né à Évisa, commerçant, syndicaliste et socialiste révolutionnaire.

En 1910, Joseph Ceccaldi, socialiste et frère d’Ignace le remplace à son siège de conseiller d’arrondissement.

En 1901, cependant, l’instituteur César Michelesi, républicain modéré, est élu conseiller général dans le troisième canton.

Toutefois, cette implantation au niveau de la politique locale n’est pas synonyme d’une rupture définitive des relations avec les communautés villageoises de l’île.

Lors des élections législatives partielles du mois de février 1913, dans l’arrondissement de Sartène, le Comité des Corses de Monaco, Monte-Carlo et Beausoleil, réuni dans la salle du cinéma Côte d’Azur de cette dernière commune, adresse, par l’intermédiaire de l’Union républicaine, un appel aux parents et amis pour soutenir, en Corse, la candidature du radical-socialiste Joseph Giordan, directeur de la Mutuelle de France et des colonies et président du conseil d’administration du Radical à Paris.

Le président du comité, Michel Martinetti, est également maire de Saint-André, petite commune de la région niçoise.

L’Union républicaine, 1er février 1912..

Le dualisme des pratiques politiques, que cultivent certains migrants insulaires, puise donc son origine dans l’affirmation nécessaire de l’identité, l’appartenance à un groupe familial et la recherche de la solidarité.

Cette dernière se renforce notamment durant l’entre-deux-guerres, par la création d’amicales aux caractères identitaires qui remplacent, d’une certaine manière, les cercles ou de comités électoraux des premières années du régime républicain.

En effet, avec l’enracinement de la IIIe République, l’organisation des partis politiques et la progressive intégration des Corses dans le tissu local sur les lieux de leur migration, le regroupement des insulaires ne s’effectue plus sur la base du politique mais insère désormais des registres plus philanthropiques, culturels, professionnels, par le biais de la constitution de réseaux d’amicales dont la plupart sont des associations de clocher regroupant des personnes originaires d’une même région ou d’un même village (La Moncalaise, Les Enfants de Brando ou encore La Castagniccia…).

Si pour les migrants, la culture et l’identité corses demeurent relativement fortes, les associations servent cependant d’intermédiaires à une intégration au sein du quartier et de ce fait, progressivement, à la ville d’adoption.

Marie-Françoise Attard-Maraninchi dénombre 74 amicales à Marseille durant l’entre-deux-guerres.

À Paris, durant la même période, la mise en place du réseau associatif, par le biais de groupements campanilistes, est identique à celui observé pour la cité phocéenne avec toutefois un nombre légèrement inférieur, de l’ordre d’une trentaine d’amicales répertoriées.

 

Les amicales permettent néanmoins le maintien d’un véritable et nécessaire « cordon ombilical » avec l’île.

Lors de l’érection des monuments aux morts aux lendemains de la Grande Guerre, certaines, malgré la distance, participent au débat sur le choix des stèles, celui des motifs, ou celui de l’emplacement dans le village.

NOTES :

Cf. Dominique Barjot, Histoire économique de la France au XIXe siècle, Paris, Nathan, 1995 et François Caron, Histoire économique de la France aux XIXe et XXe siècles, Paris, Colin, 1995.

Cf. Sur les conséquences de la crise, se référer à l’article de Francis Pomponi, « Crise de structure économique et crise de conscience en Corse, fin XIXe, début XXe », Cahiers de la Méditerranée, pp. 75-114.

Lire également Antoine Albitreccia, La Corse et son évolution au XIXe siècle et au début du XXe siècle, Paris, PUF, 1942.

Cf. Jean-Louis Briquet, La tradition en mouvement. Clientélisme et politique en Corse, Paris, Belin, 1997, p. 212.

Cf. Francis Pomponi (dir.), Le Mémorial des Corses,Cf. Francis Pomponi (dir.), Le Mémorial des Corses, t. 4, Marseille, Éd. du Prado, 1990, pp. 436-458.

Cf. Marie-Françoise Attard-Maraninchi, Le Panier, village corse à Marseille, Paris, Autrement, 1997.

Cf. D’après Évelyne Maushart, La Vie culturelle à Toulon entre 1870-1914. Genèse des « politiques culturelles » municipales, Thèse de doctorat sous la direction Jean-Marie Guillon, Université de Provence, 2010..

Cf. Albert Quantin, La Corse, la nature, les hommes, le présent, l’avenir, Paris, Librairie académique Perrin et Cie, 1914 et Jean-Paul Pellegrinetti et Ange Rovere, La Corse et la République, Paris, Le Seuil, 2004..

Cf. Jean-Paul Pellegrinetti et Ange Rovere.

Cf. Francis Pomponi (dir.), Le Mémorial des Corses et Marie-Françoise Attard-Maraninchi.

Cf. Marie-Françoise Attard-Maraninchi, Les sociétés corses à Marseille à partir de 1920 : études des solidarités, Thèse de doctorat, Université de Provence, 1984 et Jean-Philippe Marcelli, Les Corses et Paris pendant l’entre-deux-guerres, Mémoire de maîtrise d’Histoire, Université de Paris-VII, 1996.

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