CORSE : UN URBANISME EXPLOSIF.
CORSE : UN URBANISME EXPLOSIF.
Le développement vertigineux du tourisme local (38.000 touristes en 1949, plus d’un million par an à partir du début des années 1980 ) se concrétisa par l’édification, encouragée par la SETCO, d’immenses complexes hôteliers au détriment de la petite hôtellerie locale, pourtant largement en proie au sous-emploi.
Dès les années 1950/60, les banques et les groupes d'assurances (Axa, Rothschild, Paribas, etc.), fascinés par cet or bleu, investissent en Corse, et prennent possession de quelque 10.000 hectares principalement sur le littoral.
Les premiers complexes touristiques typiques des années 1950/60 sont construits en bord de rivage.
L’objectif concret de la SETCO, société alimentée par des capitaux publics et privés, est de combler le retard de l’équipement hôtelier.
Il s’agit de construire une centaine d’hôtels en cinq ans.
La réalité a été bien plus modeste.
Quatre hôtels prestigieux seulement ont été réalisés comptant environ 300 chambres.
Il s’agit des hôtels de la Pietra à l’Île-Rousse, d’Arena Bianca à Propriano, le Sheraton, dans la presqu’île de Porticcio près d’Ajaccio et Cala Rossa près de Porto-Vecchio, qui figurent toujours parmi les plus prestigieuses résidences de l’île.
La conscience des potentialités touristiques énormes de la Corse s’est traduite alors par une série de déclarations emphatiques.
Le Journal officiel du 19 avril 1957 entame ainsi son exposé sur le programme d’action régionale :
« Tout fait de la Corse par prédestination un gisement touristique de classe internationale » tandis que le député des Alpes-Maritimes M. Catroux estime en 1963 que « la Corse est la seule réserve de tourisme qui reste à la France ».
La Corse, sans aucun doute, un des plus beaux pays du monde et certainement la dernière région de France disposant encore d'un littoral vierge qui, selon les données, s'étend sur les deux tiers de son sublime rivage.
Puis les années 1960 et 1970 voient la multiplication des « affaires » qui orientent l’opinion publique corse vers une méfiance et une hostilité de plus en plus marquées vis-à-vis du tourisme.
Des projets portant atteinte à la fois à l’environnement et au sentiment identitaire de la communauté sont dénoncés.
Mais les insatisfactions reposent aussi sur l’irruption brutale d’une économie monétarisée qui attribue désormais une extraordinaire plus-value foncière à des terrains littoraux autrefois négligés.
La liste des affaires liées à des projets touristiques est fastidieuse.
On retiendra les menaces sur le domaine de Girolata convoité un temps par Brigitte Bardot ou l’échec des négociations de l’Aga Khan avec des propriétaires corses trop exigeants, à Sperone.
L’Aga Khan préférera s’installer en Sardaigne septentrionale.
Le domaine de la Testa-Ventilègne et l’île de Cavallo dans la sensible et convoitée région de Bonifacio cristallisent plus particulièrement les oppositions à la mise en valeur touristique opérée par des grands groupes financiers.
La compagnie d’assurances La Paternelle, après avoir acheté près de 3 000 hectares de littoral entre Figari et Bonifacio, envisage dès la fin des années 1960 la construction d’un gigantesque complexe touristique.
Mais les intrigues financières de ses principaux acteurs font traîner un projet qui suscite de fortes oppositions et aboutit en 1996 au rachat d’une partie du domaine par le Conservatoire du littoral.
L’île de Cavallo sur laquelle est envisagée dès 1957 la mise en place d’un camp de naturistes focalise davantage encore l’opposition au tourisme.
Cette île de l’archipel des Lavezzi, destinée à devenir « un paradis pour milliardaires », est achetée par l’animateur des nuits parisiennes Jean Castel en 1967.
Il constitue alors la Société d’exploitation des îles Lavezzi pour édifier un luxueux village de résidences secondaires, doté de son aéroport et de son port de plaisance.
Tout au long des années 1970 et 1980, cet aménagement est classement en site préservé et la SODIL, remplacée ensuite par la CODIL (Compagnie des îles Lavezzi) au sein de laquelle les intérêts italiens deviennent progressivement majoritaires.
L’île de Cavallo résume les conflits d’intérêts qui caractérisent le tourisme corse.
Les décennies suivantes l’attesteront, qui verront des groupes armés nationalistes clandestins assurer la sécurité des intérêts italiens plus ou moins « mafieux » installés sur l’île .
En attendant, le schéma d’aménagement de 1972 élaboré par une mission interministérielle pour le développement de la Corse retient à son tour le tourisme comme principal moteur de la croissance.
L’objectif défini est d’atteindre 2 millions de touristes à l’horizon 1985.
Le tourisme en stimulant la croissance économique devait également permettre à la Corse d’atteindre 320 000 habitants (220 000 habitants en 1970).
Ce schéma paraît à l’époque très ambitieux.
Pourtant ses objectifs quantitatifs seront dans le secteur touristique « spontanément » atteints.
La Corse conserve son patrimoine naturel en grande partie parce qu'elle a été pendant longtemps et justement, une île difficile d'accès, une île accessible pour les hordes touristiques que par voie de mer.
Puis par la suite, pour une bonne part grâce au Conservatoire du littoral, établissement public créé en 1975 en France.
Celui-ci a en effet pu acheter, quand il en était encore temps, plus de 20 % des 1 000 kilomètres de littoral, faisant échec aux complexes immobiliers pharaoniques qui étaient prévus dans les Agriates, le Sartenais ou la Testa Ventilegne.
La loi littoral, second dispositif protégeant la Corse du tout-tourisme, a quant à elle fêté ses vingt-cinq ans en janvier 2011.
Elle interdit de construire à moins de 100 mètres du rivage, en dehors des zones déjà urbanisées ; et, de même, elle a permis de délimiter nombre d’espaces remarquables par leur intérêt écologique et de les déclarer inconstructibles.
Cela étant, aujourd'hui, les élus corses, dont de nombreux anciens nationalistes, remettent en cause ces prescriptions qui, selon eux, bloquent le développement urbain des villes et contrarient l'économie liée au tourisme.
Les associations de défense, par contre, veillent, aidées, parfois par des organisations clandestines usant du plastic, mais pas pour les mêmes raisons.
La Corse, comparée aux rivages de la Côte d’Azur ou de la Sardaigne, et plus encore des Baléares, a préservé ce précieux héritage car ici, le cocktail spéculation/politique, qui a massacré le littoral français, et notamment la côte entre Cassis et la frontière italienne, a abdiqué, non sans regrets.
En Corse, cette puissance s'est confrontée à un ennemi encore plus redoutable que ses armes : la fierté du peuple Corse.
Le peuple Corse armé de redoutables nationalistes usant de la dynamite pour exploser, depuis des décennies, les rêves les plus avides des promoteurs, des spéculateurs et toute chose qui porte atteinte à son inestimable patrimoine.
Ainsi, les groupes nationalistes de lutte armée ont largement contribué par leurs actions, depuis quarante ans, à empêcher la baléarisation de la Corse.
Source : aboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.com