HISTOIRE DE LA CORSE, PAYS DE LA GRANDEUR.
HISTOIRE DE LA CORSE, PAYS DE LA GRANDEUR.
La Corse a une histoire extrêmement ancienne.
En témoignent les squelettes trouvés à Macinaggio au nord du Cap Corse (époque paléolithique), la « Dame de Bonifacio » (squelette de femme quadragénaire découvert en 1972 datant d'environ 6500 avant J.-C) ou encore les statues de Filitosa (environ 6000 av J.-C.
Premier centre de l'art statuaire méditerranéen).
L'île a ensuite été un repère pour toutes les galères de Méditerranée qu'elles furent romaines, Carthaginoises ou Grecques.
Au XVIe siècle, la Corse était une escale de ravitaillement pour les marines de guerre génoises, françaises puis anglaises.
Du fait de sa position stratégique en Méditerranée, la Corse a toujours intéressé les grandes puissances du moment.
Elle a été occupée par les Phocéens, les Etrusques, les Carthaginois, les Syracusains, les Romains, par les Goths et les Ostrogoths, par les Byzantins, les Sarrasins puis par les Pisans, les Génois, les Français et les Anglais.
Dans les années 1770, la Russie de Catherine II a, à son tour, convoité l'île comme base de combat contre l'empire Ottoman.
Aujourd'hui les tours génoises et pisanes plantées sur le littoral rappellent le passé italien de la Corse.
Il en va de même de son riche patrimoine religieux qui fut réalisé par des artistes essentiellement toscans, florentins, livournais, génois, vénitiens, pisans et romains.
L'histoire de Corse est par conséquent indissociable de l'histoire de la Méditerranée d'une part et de l'histoire des grandes puissances navales, méditerranéennes et européennes d'autre part.
L'historiographie présente effectivement la Corse comme une terre pastorale.
La Corse est bien une montagne dans la mer cependant, tout comme dans les Hautes Terres d'Écosse, de nombreux hommes ont pris la mer pour devenir mercenaires ou officiers généraux au service de Gênes, de Venise, de la France, de l'Angleterre, du Vatican ou encore de l'Espagne.
Toutes les grandes familles corses comptaient un fils ou un neveu ecclésiastique à Rome ou un militaire au service de l'une des grandes puissances.
Si une partie de la population rejetait toute idée d'assimilation aux puissances étrangères et se retranchait dans la montagne, les familles qui vivaient sur le littoral en revanche s'adaptaient.
La grandeur de la Corse vient de ce que l'île a toujours été en position de partenariat avec la plus grande puissance du moment.
En 1388, la plus grande puissance est, avec la République de Venise, celle de Gênes.
La Corse s'allie donc naturellement à sa grande voisine pour ainsi s'assurer sa protection.
Lorsque quatre ou cinq siècles plus tard Gênes perd son hégémonie, la Corse rejette cette suzeraineté pour se tourner, après une tentative d'indépendance, vers la France devenue, à la veille de la Révolution française, la première puissance mondiale.
Puis de 1794 à 1796, alors que la France se déchire entre Girondins et Jacobins, l'île joue la carte britannique et s'associe à l'Angleterre avec la création d'un bref royaume anglo-corse (Georges III est alors roi d'Angleterre et de Corse) avant de finalement revenir dans le giron français.
L'indépendance corse dura une quinzaine d'années de 1755 à 1769, jusqu'à l'arrivée des troupes françaises sur l'île.
Elle fut menée par Pascal Paoli, un personnage exceptionnel imprégné de la pensée des Lumières.
C'est à Paoli que l'on doit ce que l'on peut considérer comme la toute première constitution au monde, antérieure à la constitution américaine de Jefferson (1776).
Pascal Paoli qui était comme Montesquieu un franc maçon jeta les bases d'un État dont les principes étaient faits de tolérance et de fraternité et réussît à réaliser en Corse une unité presque nationale.
Tandis que la Provence fut rattachée à la France par héritage, la Corse, elle, fut prise par la force comme l'Alsace un siècle plus tôt.
La République de Gênes ruinée et déchue passa en 1768 un marché de dupe avec la France de Louis XV.
Il fut alors convenu par la signature du Traité de Versailles que la Corse serait pacifiée par la France pour le compte de la République.
Si Gênes n'arrivait pas à rembourser par la suite les dépenses engagées en Corse par la France, l'île reviendrait à la France.
La France qui dès la signature du traité se doutait que Gênes serait dans l'impossibilité de payer sa dette, entendait compenser la perte de l'île de Minorque perdue au profit de la Grande-Bretagne en1763 (Traité de Paris).
Une partie de la population corse, menée par l'opposition paoliste, résista contre les troupes de Louis XV commandées avant de finalement se rallier à la souveraineté française.
Les puissances suzeraines adoptaient alors à l'égard de leurs conquêtes une stratégie d'assimilation.
Celle-ci consistait à captiver les élites pour les faire basculer dans leur camp.
C'est ce que fit Gênes tout au long des siècles de sa domination sur l'île.
Ainsi les Corses qui avaient bien mérité de la République se voyaient récompensés par l'octroi de certains privilèges comme des exemptions d'impôts.
En 1770 la France de Louis XV poursuit cette politique en Corse et des familles comme celle de Napoléon Bonaparte furent intégrées à la noblesse française.
Toutefois, le processus d'assimilation de la Corse à la France fut lent principalement en raison de l'insularité et de la barrière de la langue.
Toutes les correspondances retrouvées en Corse sont écrites en Italien jusqu'à la fin du XIXe siècle.
Mais si le Français remplaça le toscan comme langue officielle, le corse, quant à lui, ne cessa jamais d'être parlé sur l'île.
Aujourd'hui, on lui reconnaît son statut de langue régionale mais jusqu'en 1914, le corse était qualifié de dialecte ou de patois, termes qui sont désormais considérés, à juste titre, comme très injurieux.
Au XIXe siècle, il était interdit, notamment dans les écoles, de parler corse.
On pouvait alors lire sur des affiches : « interdiction de parler corse et de cracher par terre ».
Son passé français relativement récent explique cette difficulté de compréhension.
La Corse est l'une des dernières régions à être entré dans la communauté nationale (1769-1770).
Des références historiques comme Henri IV, Louis XIV ou encore Versailles sont longtemps restées totalement étrangères à la communauté insulaire.
Par ailleurs la Corse est séparée du reste du continent par la mer.
Son insularité doublée de son aspect montagneux ont retardé et compliqué quelque peu son intégration à la communauté nationale française.
La France se comportait-elle vraiment comme un État colon en Corse?
Michel Vergé-Franceschi : Non, on ne peut pas parler d'attitude colonialiste ni du temps de l'État génois ni du temps de la France.
On a parlé volontiers de colonialisme du fait de l'insularité.
Les Corses n'ont pourtant pas souffert du colonialisme et ont en revanche largement participé à l'histoire de la colonisation française.
Le maréchal Lyautey aux côtés d'un grand nombre de maréchaux et d'officiers généraux ont rendu honneur aux Corses au XIXe siècle et au début du XXe pour le rôle majeur qu'ils ont joué dans la colonisation au Maroc, en Tunisie, en Afrique ou en Asie.
On peut dire que les Corses arrivent, pour 95% d'entre eux, à concilier le fait d'être à la fois Corse et Français.
Je crois que les Corses sont aussi Corses que les Normands sont Normands et que les Alsaciens sont Alsaciens.
Aujourd'hui on revendique dans la communauté nationale son appartenance à la Corse, à la Bretagne ou à l'Alsace et la Lorraine et cette revendication n'empêche pas que les hommes appartiennent à une communauté beaucoup plus large qui est à la fois française mais aussi européenne.
L'histoire des Corses nous montre que finalement, ils sont bien plus cosmopolites qu'on ne le pense.
L'un des plus célèbres d'entre eux, Pascal Paoli, celui que l'on surnomme « u babu di a patria » (le père de la patrie) était qualifié en 1750 de citoyen du monde.
Il était né en Corse et a vécu autant d'années en Angleterre où il est mort en 1807 que sur son île natale.
Au moment de mourir, Pascal Paoli aurait déclaré : « il ne me reste plus aujourd'hui qu'à devenir citoyen du ciel ».
Je pense que les Corses aujourd'hui appartiennent toujours à ce cosmopolitisme.
Ils sont à la fois Corses, Français et Européens.
Michel Vergé-Franceschi.
Propos recueillis par Caroline Marcelin pour Le Monde.
Photo : Augustin Chiodetti.