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Matteo (dit parfois Matthieu) Buttafoco, ou comte de Buttafoco, est un aristocrate et député corse, capitaine au Régiment Royal Corse puis Maréchal de camp, à l'origine du Projet de constitution pour la Corse dont il demanda la rédaction détaillée à Jean-Jacques Rousseau en 1764.
Royaliste et soutenant le rattachement de la Corse à la France, il fut un adversaire politique du jeune Napoléon Bonaparte.
Né le 26 novembre 1731, à Vescovato, Matteo Buttafoco épouse Maria Anna Gaffori le 7 septembre 1788 à Corte.
Buttafoco sera Colonel du régiment Royal corse (1765), propriétaire de ce régiment (1770), inspecteur du Provincial corse (1772), général de brigade (1781), Maréchal de camp, Député de la Noblesse de Corse dans le tiers-état lors des États Généraux en 1789.
Il meurt à Bastia, le 6 juillet 1806.
Un projet de Constitution pour la Corse.
Personnage clé de l’histoire du XVIIIe siècle corse, il entre à 9 ans, en 1740, dans l’armée de Louis XV à laquelle il doit sa formation.
Profondément Paoliste dans sa jeunesse, il est dans les années soixante l’intermédiaire entre Choiseul et Paoli, considéré comme le chef de la « nation Corse », mais aussi entre ce dernier et Jean-Jacques Rousseau.
Pourtant, en 1768, il choisit Versailles et prendra la figure du « traître » vis-à-vis des Corses anti-monarchiques.
Clé de voûte de la « loi du vainqueur », il sera en 1789 le député de la noblesse insulaire aux États Généraux puis le fer de lance de la contre révolution.
En contact étroit avec Jean-Jacques Rousseau, il fut un ardent défenseur des Français lors du rachat de la Corse à Gênes, et son attitude lui fut d'ailleurs reprochée à l'époque par un petit caporal alors inconnu : Napoléon Bonaparte.
Mais ce fut Buttafoco, et non Paoli comme ce fut parfois dit à l'époque, qui écrit à Rousseau, alors en exil à Môtiers, pour lui proposer de donner une constitution aux Corses.
« Le 31 août 1764, il écrit à Jean-Jacques Rousseau une lettre ainsi conçue :
« Vous avez fait mention des Corses, dans votre Contrat social, d’une façon bien avantageuse pour eux.
Un pareil éloge, lorsqu’il part d’une plume aussi sincère que la vôtre, est très propre à exciter l’émulation et le désir de mieux faire.
Il a fait souhaiter à la Nation que vous voulussiez être cet homme sage qui pourrait lui procurer les moyens de conserver cette liberté qui lui a coûté tant de sang.
... Qu’il serait cruel de ne pas profiter de l’heureuse circonstance où se trouve la Corse pour se donner le gouvernement le plus conforme à l’humanité et à la raison, le gouvernement le plus propre à fixer dans cette île la vrai liberté...
Une nation ne doit se flatter de devenir heureuse et florissante que par le moyen d’une bonne institution politique.
Notre île, comme vous le dites très bien, est capable de recevoir une bonne législation ; mais il faut un législateur, et il faut que ce législateur ait vos principes, que son bonheur soit indépendant du nôtre, qu’il connaisse à fond le nature humaine, et que, dans les progrès des temps, se ménageant une gloire éloignée, il veuille travailler dans un siècle et jouir dans un autre.
`Daignez, monsieur, être cet homme-là, et coopérer au bonheur de toute une nation en traçant le plan du système politique qu’elle doit adopter !...
Je sais bien, monsieur, que le travail que j’ose vous prier d’entreprendre exige des détails qui vous fassent connaître à fond notre vraie situation ; mais si vous souhaitez vous en charger, je vous fournirai toutes les lumières qui pourront vous être nécessaires, et M. Paoli, général de la Nation, sera très empressé à vous procurer, de Corse, tous les éclaircissements dont vous pourrez avoir besoin.
Ce digne chef, et ceux d’entre mes compatriotes qui sont à portée de connaître vos ouvrages, partagent mon désir et tous les sentiments d’estime que l’Europe entière a pour vous, et qui vous sont dus à tant de titre, etc., etc., »
- Réponse de J.-J. Rousseau à M. Buttaffuoco :
« Motiers-Travers, le 22 septembre 1764.
Il est superflu, monsieur, de chercher à exciter mon zèle pour l’entreprise que vous me proposez.
La seule idée m’élève l’âme et me transporte.
Je croirais le reste de mes jours bien noblement, bien vertueusement, bien heureusement employé ; je croirais même avoir bien racheté l’inutilité des autres, si je pouvais rendre ce triste reste bien en l’honneur quelque chose à vos braves compatriotes, si je pouvais concourir, par quelque conseil utile, aux vues de leur digne chef et aux vôtres.
De ce côté-là, donc, soyez sûr de moi : ma vie et mon cœur sont à vous.
Mais, monsieur, le zèle ne donne pas les moyens, et le désir n’est pas le pouvoir.
Je ne veux pas faire ici sottement le modeste : je sens bien ce que j’ai, mais je sens encore mieux ce qui me manque.
Premièrement, par rapport à la chose, il me manque une multitude de connaissances relatives à la Nation et au Pays ; connaissances indispensables, et qui, pour les acquérir, demanderont de votre part beaucoup d’instructions, d’éclaircissements, de mémoires, etc. ; de la mienne, beaucoup d’étude et de réflexions.
Par rapport à moi, il me manque plus de jeunesse, un esprit plus tranquille, un cœur moins épuisé d’ennuis, une certaine vigueur de génie qui, même quand on l’a, n’est pas à l’épreuve des ennuis et des chagrins ; il me manque la santé, le temps ; il me manque accablé d’une maladie cruelle et incurable, l’espoir de voir la fin d’un long travail que la seule attente du succès peut donner le courage de suivre ; il me manque enfin l’expérience dans les affaires, qui seule éclaire plus, sur l’art de conduire les hommes, que toutes les méditations.Si je me portais passablement, je me dirais :
J’irai en Corse : six mois passés sur les lieux m’instruiront plus que cent volumes.
Mais comment entreprendre un voyage aussi pénible, aussi long, dans l’état où je suis ?
Le soutiendrais-je ?
Me laisserait-on passer !
Mille obstacles m’arrêteraient en allant ; l’air de la mer achèverait de ma détruire avant le retour.
Je vous avoue que je désire mourir parmi les miens.
Vous pouvez être pressé.
Un travail de cette importance ne peut être qu’une affaire de très longue haleine, même pour un homme qui se porterait bien.
Avant de soumettre mon ouvrage à l’examen de la Nation et de ses chefs, je veux commencer par en être content moi-même.
Je ne veux rien donner par morceaux : l’ouvrage doit être un : l’on n’en saurait juger séparément.
Ce n’est déjà pas peu de chose que de me mettre en état de commencer, pour achever, cela va loin.
Il se présente aussi des réflexions sur l’état précaire où se trouve encore votre île.
Je sais que sous un chef tel qu’ils l’ont aujourd’hui, les Corses n’ont rien à craindre de Gênes ; je crois qu’ils n’ont à craindre non plus des troupes qu’on dit que la France y envoie ; et ce qui me confirme dans cette opinion, est de voir un aussi bon patriote que vous me paraissez l’être rester, malgré l’envoi de ces troupes, au service de la puissance qui les donne.
Mais, monsieur, l’indépendance de votre pays n’est point assurée tant qu’aucune puissance ne la reconnaît ; et vous m’avouerez qu’il n’est pas encourageant pour un aussi grand travail de l’entreprendre sans savoir s’il peut avoir son usage, même en le supposant bon.
Ce n’est point pour me refuser à vos invitations, monsieur, que je vous fais ces objections, mais pour les soumettre à votre examen et à celui de M. Paoli.
Je vous crois trop gens de bien l’un et l’autre pour vouloir que mon affection pour votre Patrie me fasse consumer le peu de temps qui me reste à des soins qui ne seraient bons à rien.
Examinez donc, messieurs ; jugez vous-mêmes, et soyez sûrs que l’entreprise dont vous m’avez trouvé digne ne manquera point par ma volonté.
Recevez, je vous prie, mes très humbles salutations
P.S. En relisant votre lettre, je vois monsieur, qu’à la première lecture j’ai pris le change sur votre objet.
- J.-J. Rousseau
J’ai cru que vous me demandiez un corps complet de législation, et je vois que vous me demandez seulement une institution politique ; ce qui me fait juger que vous avez déjà un corps de lois civiles autres que le droit écrit, sur lequel il s’agit de calquer une forme de gouvernement qui s’y rapporte.
La tâche est moins grande, sans être petite, et il n’est pas sûr qu’il en résulte un tout aussi parfait : on n’en peut juger que sur le recueil complet de vos lois. »
Deux malentendus grèvent cependant la relation entre ces deux hommes : Rousseau n'a pas compris tout de suite les préférences aristocratiques de Buttafoco et ne les a évidemment pas honorées dans son projet à forte tendance démocratique.
Aussi ce plan ne plut point au Corse.
D'autre part, Buttafoco qui poursuivait des activités diplomatiques avec la France et était en liaison avec Choiseul, cacha à Rousseau les intentions françaises d'annexer l'île.
Source : Wikipédia.