«Ni maître ni esclave», «Toujours conquise, jamais soumise».
Ces Slogans reflètent une indéniable réalité historique, tant il est malaisé de soumettre une montagne dans la mer, citadelle propice à la persistance de pôles de résistance.
Tel fut toujours le cas, des Carthaginois à Mussolini.
De même, la formule selon laquelle «La reine Liberté vaut mieux que le roi de France» a traversé les siècles.
Là est la grandeur de la Corse, qui a toujours eu une haute idée d'elle-même : forte de son atout géostratégique en Méditerranée, elle cherche à nouer des alliances avec la puissance dominante du moment, sur le mode du partenariat, et certes pas de la vassalité.
Ce sera en effet la République de Gênes, en 1388, puis la France, quatre siècles plus tard, du moins jusqu'à la Terreur.
Suit alors la brève aventure du royaume anglo-corse, qui durera deux ans.
En 1805, quand il affirme sa volonté de lier la Corse à la France «une bonne fois pour toutes», Napoléon tente de mettre fin à quarante années de flou artistique pour une île déjà française, mais encore génoise.
Voilà pourquoi les nationalistes le détestent : il est celui qui arrime l'île au continent de façon définitive.
Alors qu'il lui doit tout, à commencer par sa carrière, le même Napoléon n'avait «que mépris» pour son père, Carlo (Charles), relégué au rang de «collabo» du royaume.
Il est le rejeton d'une famille qui a fait le choix de la soumission.
L'une des 86 qui fourniront les documents requis pour préserver leur rang aristocratique.
Plusieurs centaines d'autres clans auraient pu agir de même, mais s'en abstiennent; leur refus est un acte politique.
Charles, lui, fait tout pour placer ses fils et ses filles dans les institutions scolaires de l'Hexagone.
C'est ainsi que le futur Empereur étudie au collège d'Autun, puis à l'école militaire de Brienne.
L'arrimage à la France est-il voulu ou subi ?
C'est toute la question.
Pour les paolistes, dont le chef de file choisira l'exil, il est imposé.
Pour les autres, tels Charles Bonaparte ou la dynastie Abbatucci, il est délibéré.
En 1769, deux grandes mouvances s'opposent sur l'île : les partisans de l'État corse; et les élites, favorables au ralliement, censé procurer plus d'avantages que l'indépendance paoliste.
Au fond, cette césure n'a jamais cessé d'exister.
La même dualité flotte sur la figure mythique de Sampiero Corso.
Le pro-Français retient de lui l'épopée du colonel des rois de France, de François Ier à Charles IX.
Mais l'irrédentiste italien insiste sur le loyal serviteur de Catherine de Médicis.
Paoli lui-même a voulu être capitaine de l'armée française avant de fuir en exil vers l'Angleterre.
Lui finira avec son buste dans l'abbaye de Westminster.
Il n'empêche que son prestige défiera le temps.
De fait, elle le devient trop tard, et contre son gré.
Si la Corse était devenue française au temps d'Henri II, et non sous Louis XV, le nationalisme n'existerait pas.
Autre moment plus propice : le règne de Louis XIV, souverain respecté d'un royaume puissant; d'autant que Versailles connaît à son époque une vraie vogue corse.
Henri II libère donc l'île du joug génois avec le concours de son allié Sampiero Corso.
A l'inverse, deux siècles plus tard, Paoli sera le vaincu d'un roi de France peu aimé, et au prix d'une conquête militaire.
La Couronne a alors le mauvais rôle.
Elle vient, en 1763, de perdre Minorque, base navale essentielle.
Et a aussi dû lâcher le Canada.
Il lui faut redorer son blason à tout prix, démontrer la capacité de son armée à soumettre un petit pays de 200 000 âmes.
Voilà le paradoxe : la victoire revient à une France bloquée, crispée, qui réserve encore la dignité d'évêque ou d'officier aux seuls membres de l'aristocratie.
Quel contraste avec les idées novatrices et audacieuses de Paoli, tel le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes...
Le royaume, au fond, commet deux erreurs : il néglige la valeur stratégique de la Corse, vue avant tout comme une réserve de bois; et n'envoie sur l'île, pour l'essentiel, que des cadres militaires.
Bien sûr, seuls quelques officiers sadiques useront de la violence gratuite, mais le souvenir de leurs exactions, entretenu par la tradition orale, demeure vif.