VISION D'UN CORSE DE LA DIASPORA.
D’abord, il conviendra de rappeler que cette île au statut particulier se distingue des territoires d’Outre-Mer aussi bien par son histoire, que des régions métropolitaines par son autonomie vis à vis de la France continentale.
Il s’agira d’abord de mettre en évidence le particularisme de la Corse elle-même, en raison de son passé autant que par sa position géographique et culturelle, entre région de métropole et région extra-métropolitaine.
Comment, face à cette situation unique, les gouvernements français successifs ont tenté d’adapter une politique ambiguë et dualiste qui semble aujourd’hui à bout de souffle.
L’île de beauté n’est française que depuis 1769, et ne fut pas conquise dans une logique coloniale, même si elle appartenait à Gênes sous forme de colonie, mais dans une logique d’abord géostratégique.
Le peuple corse, avait connu, contrairement aux peuples colonisés des îles d’Outre Mer, la république démocratique et les libertés, et cela bien avant l’arrivée des Français.
Il faut d’abord rappeler que la République corse de Pasquale Paoli fut une pionnière en matière de démocratie en 1755, avec une constitution écrite assurant la séparation des pouvoirs, le droit du peuple à disposer de lui même, un régime ayant pour but le bonheur de la Nation, ainsi que le suffrage universel ouvert aux femmes.
Ces révolutionnaires de l’île agraire ont en partie inspiré leurs confrères américains quelques années plus tard, si bien qu’aujourd’hui 6 villes des États Unis portent le nom de Paoli City ou Corsica.
La monarchie française a donc acheté et conquis un peuple libre et pionnier.
En vertu de cela, lorsque la France devint elle-même républicaine en 1789, elle ne put s’abstenir de rendre hommage aux hommes de Paoli qui s’étaient battus contre la même monarchie, trente ans plus tôt.
On relèvera même ce discours de Robespierre le 22 Avril 1790 s’adressant à Paoli et à l’Assemblée Nationale :
« Il fut un temps où nous opprimions la liberté jusque dans son dernier asile… Mais non ! Ce crime fut celui du despotisme…Le peuple français l’a repoussé. Quelle magnifique expiation pour la Corse conquise et pour l’Humanité offensée ! Généreux citoyen, vous qui avez défendu la liberté dans un temps où nous n’osions pas même l’espérer; vous avez souffert pour elle, vous triomphez avec elle, et votre triomphe est le notre ».
Ce jour fut celui du rattachement de la Corse à la République Française comme n’importe quelle autre région ou département, c’est ce jour qui marqua la particularité de la Corse dans la République.
On peut voir dans les paroles de Maximilien de Robespierre la reconnaissance implicite d’un peuple corse qui n’a pas su repousser le despotisme, à l’inverse de son peuple frère d’adoption si l’on peut le nommer ainsi - le peuple français.
Aucune des îles ou territoires d’Outre-Mer ne possède une telle histoire, car ils furent conquis, soumis et utilisés plus tardivement dans l’Histoire avec le statut de colonie, à l’exception de certaines îles des Antilles telles la Martinique et la Guadeloupe.
La temporalité joue aussi un rôle indéniable dans la différenciation que nous évoquons puisqu’elles furent les conquêtes coloniales des régimes démocratiques français ou du moins post-révolutionnaires.
La géographie a également joué son rôle, car elle a considérablement influencé le passé de la petite île.
Située en pleine Méditerranée, très proche de l’Italie et notamment de la Sardaigne avec laquelle elle a partagé de fortes ressemblances en matière de drapeau et de culture, la Corse fut longtemps plus italienne que française : on le constate dans la langue de Paoli et Bonaparte, plus proche de la Botte que de l’Hexagone.
La Constitution de 1755 fut d’ailleurs rédigée en Italien.
Cette île qui fut une place géostratégique majeure face à la menace maure (en témoigne son drapeau), est séparée de la France par la mer, mais elle n’est pas pour autant Outre-Mer puisqu’elle ne se trouve qu’à quelques heures de bateau moderne.
Elle semble donc avoir la proximité des régions métropolitaines, mais avec des caractéristiques culturelles si différentes qu’elle s’apparente à l’extra-métropole.
En effet, si la population antique de l’île fut étrusque et non celtique, grecque ou gauloise comme le reste de la France continentale, elle possède aussi une histoire française bien plus courte que les autres régions (seulement 300 ans), tout comme les populations d’Outre-Mer.
La Corse, par son histoire et sa position géographique est donc plus proche de la France continentale que des territoires anciennement colonisés.
Néanmoins, elle n’en est pas pour autant une région française comme celles qui composent la métropole, car elle y a été rattachée par la force, contrairement à la Bretagne ou au Pays Basque.
Si on ajoute à ceci le facteur isolant de l’insularité, on peut aisément comprendre l’ampleur et la force du nationalisme corse par rapport aux autres régions de métropole.
Même s’il existait des spécificités propres à l’île depuis la révolution française et le début du XIXe siècle (arrêtés Miot par exemple), le tournant eut lieu au moment de la renaissance du nationalisme corse au milieu des années 1970.
Un bouleversement considérable intervint en 1975.
Les évènements d’Aleria, menés par Edmond Simeoni, père de l’actuel président du conseil exécutif, furent l’apogée de la cristallisation d’un sentiment d’injustice sur l’île.
Ils eurent lieu à la suite de problèmes relatifs à la spoliation des terres corses au profit des 15 000 pieds noirs fuyant l’Algérie dans les années 60, ainsi que des problèmes de pollution liés aux autorisations de l’État français données aux bateaux d’une société Italienne de déverser leurs déchets au large des côtes corses.
S’ensuivit une réaction à chaud du gouvernement de Jacques Chirac et de son ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski qui enclencha une répression, dans les rues de Bastia notamment, ainsi que la dissolution de l’ARC.
Quelques années plus tard eut lieu la création du tristement célèbre FLNC.
Et débutèrent de nombreuses années de terreur, d’attentats, de règlements de comptes, d’enquêtes policières.
Chaque gouvernement se succédant, la politique française à l’égard de ces hommes violents changea au fil des années, au fil des saisons, alternant discussions secrètes ou publiques, vagues d’arrestations, cadeaux et avancées, mais aussi frustrations.
L’attitude de la France se situa à mi-chemin entre celle adoptée vis-à-vis des autres régions de métropole, et celle réservée à l’Outre Mer voire à la Nouvelle Calédonie dans une moindre mesure.
Bien sûr, il y eut des progrès importants comme le statut propre à la Corse sous Mitterrand, mais aucun Corse n’a oublié que le même président s’était déplacé jusqu’à Ajaccio pour évoquer un « peuple corse » qui ne sera finalement jamais reconnu.
De même pour la Collectivité Territoriale de Corse (CTC), qui donnait un semblant d’autonomie à l’île.
Son créateur, Pierre Joxe en 1991, s’inspira ouvertement du régime en vigueur en Polynésie Française et anciens TOM, tout en modérant les pouvoirs de la CTC, qui n’est en réalité qu’une région aux capacités étendues.
Néanmoins, cette volonté de rapprocher la Corse de l’Outre mer, fut également ressentie à la suite du processus de Matignon (2000-2002).
Ainsi « Le nouveau statut s’inspire bien de l’évolution des anciens TOM : organisation institutionnelle propre et garantie de l’identité et de la culture ont été les axes importants d’une réflexion déjà entamée par la loi d’orientation sur l’outre-mer du 13 décembre 2000 » mais néanmoins :
« La révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 a cependant rendu impossible qu’un nouveau statut de la Corse relève du droit de l’outre-mer en tant que tel (le statut de la Nouvelle-Calédonie fait l’objet d’un titre à part dans la Constitution, Article 74) ».
La Corse cristallise aujourd’hui un ensemble de tensions qui se sont ressenties dans les urnes des élections territoriales de décembre 2015.
Il semble fort peu utile d’avoir crée une assemblée représentant les corses grâce au suffrage universel, pour qu’elle ne soit quasiment jamais écoutée ou entendue par le gouvernement.
Lorsque cette Collectivité vote la reconnaissance de la co-officialité de la langue corse, le statut de résident, l’inscription de l’île dans la Constitution - au-delà des débats sur le bien fondé et l’utilité de ces mesures -, personne, sur le Continent, ne les prend en considération alors qu’elles émanent, par construction et par définition, de la volonté du peuple lui même.
Quand ils veulent manifester leur mécontentement, les Corses ne votent pas pour le Front National - parti anti-régionaliste qui ne saurait être apprécié sur l’île -, mais pour les nationalistes autonomistes de Femu A Corsica de Gilles Simeoni, ou les indépendantistes d’extrême droite de Corsica Libera de Jean-Guy Talamoni.
Aux élections territoriales, et au premier tour, ces deux formations ont réuni respectivement 18% et 9% des voix, puis, au second tour, 36% en s’unissant face au président sortant Divers Gauche du conseil exécutif Paul Giaccobi.
Cette alliance pour la victoire de la famille nationaliste, alliant les modérés qui rejettent la violence avec les radicaux qui refusent de la mettre de côté, alliant ceux qui ont compris l’histoire de la Corse et ceux qui ne l’ont pas comprise, a donné naissance à la première Assemblée de Corse à dominante nationaliste.
Cet accord est du à la volonté des modérés de remporter le scrutin afin d’avoir le pouvoir d’agir, quitte à laisser entrer dans la démocratie et la République Française une extrême-droite nationaliste qui ne dit pas son nom.
Loin de traduire la volonté d’obtenir une indépendance – laquelle n’intéresse que les plus radicaux et les moins réfléchis des électeurs (seulement 9% des voix) -, ce choix des votants a pour but d’attirer l’attention sur des problèmes locaux qui ne peuvent être résolus avec les mêmes solutions que sur le Continent.
La politique française en Corse a toujours avancé pour mieux reculer : on l’a constaté avec l’attitude de François Mitterrand signalée plus haut, mais on pourrait aussi évoquer la signature de la Charte des Langues Régionales que le Conseil Constitutionnel et le Sénat s’obstinent à bloquer.
Si l’élection de Gilles Simeoni, nouveau président du conseil exécutif, ne provoque pas d’inquiétudes (quoique qu’il suscite beaucoup d’interrogations), celle de l’indépendantiste et ancien membre du FLNC Jean-Guy Talamoni, élu Président de l’Assemblée, est plus alarmante.
Il a en effet prononcé tout son discours d’investiture en langue corse et en se montrant hostile à une France de « colons », au sein même d’une institution française qui lui donne la libre parole.
On comprend la crainte de Paris, qui ne sait qu’attendre de ce nouveau paysage politique corse, à mi-chemin entre modération autonomiste et radicalisme indépendantiste.
Il force néanmoins le gouvernement à changer de politique, et à passer de l’attitude stricte et parfois provocatrice qu’il aurait pu employer dans les autres régions de métropole (en disant par exemple que « la violence est enracinée dans la culture Corse » en 2013), à une attitude proche de celle qu’il applique en Outre-Mer, en acceptant les volontés d’un peuple émancipé, et en demandant un « dialogue serein et apaisé » après les élections de 2015.
En conclusion, après avoir constaté l’ambiguïté et la dualité de la situation de la Corse ainsi que des politiques françaises à son égard, on peut se demander si la volonté du gouvernement n’est pas d’entamer un énième dialogue qui ne débouchera sur rien de concret.
Au delà du débat sur le bien fondé d’une autonomie accrue pour l’île de beauté, il convient néanmoins de rappeler que la situation actuelle, traduite par les urnes de décembre, n’est ni la faute de Femu A Corsica ni celle des électeurs, mais bien celle des gouvernements français qui se sont succédés depuis 1975.
A force d’alterner discussions secrètes, dialogues ouverts et publics, répression féroce, mensonges, faux espoirs et avancées en apparence importantes mais que l’on cherche en réalité à maitriser, on récolte ce que l’on sème...
Lorsque les gouvernements français ont entrepris des négociations dans les années 70 puis 90, ils ont fait de beaux gestes : ré-ouvrir la seule université de l’île, re-promouvoir la langue corse, donner un statut particulier à l’île.
Ils ont ainsi encouragé certains à vouloir davantage.
Mais par ailleurs, lorsque la France a réprimé, parfois dans des conditions qui permettent de douter de l’État de Droit, les terroristes insulaires, ou qu’elle a réfréné les envies des Corses en les privant du droit d’être un peuple, ou d’avoir une Assemblée qui puisse réellement défendre leurs volontés, les politiciens français se sont attiré les colères de citoyens qui voulaient seulement être entendus et pris en considération.
On peut donc penser qu’il serait temps pour le gouvernement de rompre avec la politique de ses prédécesseurs - cette attitude hybride, à mi chemin entre un conservatisme métropolitain et ce progressisme émancipateur employé surtout en Outre-Mer.
Le problème de la Corse, c’est qu’elle ne se situe dans aucune des deux catégories.
Ses problèmes lui sont propres, il lui faut donc une politique dédiée.
La question de l’inscription de l’île dans la Constitution, revendiquée maintes fois, autant par les nationalistes que par les autres familles politiques de la région natale de Bonaparte, reste donc profondément d’actualité et semble être le premier pas à faire vers la résolution des problèmes fondamentaux de la Corse.
Pierre-Alexandre P.
Cet article est un travail rédigé dans le cadre universitaire de SciencesPo Bordeaux pour l'occasion du cours d'ouverture du professeur Sadran "Démocratie et République en France".
Source : uncorsedeladiaspora.over-blog.com
Photo : Archives AFP.