BONAPARTE, PAOLI ET L'EXPÉDITION DE SARDAIGNE.
BONAPARTE, PAOLI ET L'EXPÉDITION DE SARDAIGNE.
La Convention ordonne à Bonaparte de s'emparer de la Maddalena et à l'amiral Truguet de prendre Cagliari.
Depuis 1791, la République française est en guerre contre le roi de Sardaigne, de Savoie et du Piémont, Victor-Amédée III.
La Convention décide en 1792 de l'attaquer simultanément au Piémont et en Sardaigne.
En Sardaigne, l'opération se fait sur deux fronts : l’attaque principale sur Cagliari, et une manœuvre de diversion sur les îles de la Madeleine (Archipel de La Maddalena), à 10 kilomètres au sud du port de Bonifacio.
L'opération tourne au fiasco.
La faute en est rejetée sur Paoli, réticent à s'engager dans un conflit contre les Sardes.
Lorsqu'il arrive le 15 décembre à Ajaccio, le contre-amiral Laurent Truguet, commandant en chef de la flotte de Méditerranée, dispose de neuf navires (deux vaisseaux, le Vengeur et la Perle ayant été perdus en cours de route1.
Lors du second bombardement de Cagliari, il aligne également trente-trois bateaux de transport.
L'organisation de l'expédition est confiée à Pascal Paoli : il met sur pied un contingent de 2 000 hommes, au lieu des 6 000 qui lui sont demandés par la Convention, composé des bataillons de volontaires de Martigues, de l'Union, de Luberon, de Tarascon, d'Aix et du 5e de Vaucluse.
Il confie le corps expéditionnaire principal au général Raphaël de Casabianca, qui aligne 4 000 soldats et six canons lorsqu'il débarque à Cagliari.
Le contingent chargé de mener l'attaque de la Maddalena est placé sous les ordres du colonel Pierre Colonna Cesari.
Celui-ci dispose d'une force de 600 hommes, qui comprend 450 volontaires des 2e et 4e bataillons corses, ainsi qu'une compagnie de 150 grenadiers sous les ordres du capitaine Ricard.
L'artillerie et le génie sont confiés respectivement au lieutenant-colonel Bonaparte et au capitaine Moydié.
À Bonifacio, le 19 février 1793, huit cents soldats embarquent sous pavillon français en direction de la Sardaigne sous les ordres du colonel Quenza.
À 23 ans, Napoléon Bonaparte qui vient d'être nommé lieutenant-colonel adjoint de la Garde nationale, est impatient de se confronter à l'ennemi.
À La Maddalena, l'opération de diversion est confiée par Pascal Paoli au colonel Colonna Cesari.
Le 20 février, Cesari se présente sur les côtes de la Sardaigne, mais une tempête force ses navires à regagner Bonifacio, à l'exception de la corvette La Fauvette qui reste à proximité de l'île.
Deux jours plus tard, la petite flotte française revient à La Maddalena, et après avoir essuyé le tir des bateaux sardes abrités dans le port, parvient à accoster sur l'île de Santo Stefano et à y débarquer le corps expéditionnaire.
La garnison sarde, forte d'une trentaine d'hommes, préfère se retirer à l'approche des Français.
Le lendemain, Cesari s'empare de l'île et des magasins de munitions qui y sont installés, ce qui permet au lieutenant-colonel Bonaparte d'occuper d'abord les îlots de Santo Stefano et de Spargi afin de diriger avec précision les tirs de mortier sur le petit village de la Maddalena, distant d'un kilomètre.
Le 24 février, l'artillerie française pilonne le village et crée la panique chez la population.
Mais la résistance sarde, composée de 200 hommes en majorité des bergers, se révèle pugnace grâce à Domenico Milleliri, un jeune artilleur de l'âge de Bonaparte.
La marine sarde était composé de petits bateaux.
Leurs tirs vont se croiser. En position vulnérable, la corvette française La Fauvette est touchée, ainsi que plusieurs bâtiments d'accompagnement.
Malgré les dommages subis, Bonaparte prévoit un nouvel assaut le 24 février quand une mutinerie éclate à bord.
Le 25 avril, Cesari, informé que les marins de La Fauvette ont voulu lever l'ancre, se rend à bord du navire pour s'entretenir avec l'équipage, mais celui-ci se mutine.
Le colonel est obligé de signer l'ordre de retraite des troupes terrestres, qui s'enfuient en abandonnant leur matériel et en particulier les trois pièces d'artillerie de Bonaparte.
Ordre est donné alors d'un repli vers le golfe de Sant'Amanza.
C'est un revers pour le jeune ambitieux qui ne s'avoue pas vaincu.
« Bonaparte déçu, dépité, honteux sans doute de n'avoir réussi qu'à abandonner quelques canons aux mains de ses ennemis, sollicite du ministère de la Guerre une nouvelle mission pour, dit-il, effacer ce qui resterait pour lui une tache de déshonneur. »
Les Français rembarquent et mettent le cap sur la Corse, où ils arrivent le 27 février.
Dans le même temps, un second convoi rejoint Cagliari, avec à sa tête l'amiral Truguet.
Le vent fort et l'indiscipline des volontaires marseillais ne permettront pas aux Français de prendre la ville.
La Convention, ayant déclaré la guerre à l'Angleterre, demande alors à Truguet de rejoindre au plus vite Brest.
Le consul britannique à Livourne fait aussitôt savoir à Paoli que le Roi d'Angleterre est prêt à placer l'île de Corse « sous sa protection. »
Les historiens pointent les raisons de cet échec retentissant :
« Si on doit chercher des causes profondes, la décision de l'expédition apparaît précipitée et peu utile et le choix des chefs comme des troupes, erroné. En tout cas aucune de ces décisions ne vient de Pascal Paoli, » selon Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse (Histoire de la Corse et des Corses).
Piller au nom de la République, ‘‘voilà le vrai but''
Or, c'est précisément sur Paoli que la Convention fait retomber la paternité de cet échec qui vient ternir le blason de la Révolution en marche.
Car au départ, c'est Paoli qui avait été choisi pour être le commandant en chef de l'opération, ce qui ne l'enthousiasmait guère.
« Il éprouvait de la difficulté à combattre le roi du Piémont ; en réalité, c'était moins par sentiment que par politique, qu'il feignait de se souvenir que la Sardaigne avait un instant secouru la Corse contre la France et Gênes, et que Venturini, Gaffori et Matra avaient combattu aux côtés de 15.000 Sardes de Cumiana. »
Dès le 2 avril, Paoli est sous le feu des critiques.
Marat le met en cause en l'accusant de livrer la Corse aux Anglais.
Escudier, député du Var, demande même que le général comparaisse devant le tribunal révolutionnaire pour « exercice de la tyrannie civile et militaire en Corse. »
Convoqué à Paris pour s'expliquer, Paoli refuse de s'y rendre, invoquant des raisons de santé. Il se justifiera toutefois par une longue lettre auprès de la Convention.
Pour quelle raison la Révolution se lance-t-elle soudain à la conquête de la Sardaigne ?
Par l'ampleur des moyens engagés, cette opération tient de la guerre de propagande.
L'idée de la Convention est de « libérer » la Sardaigne, une dépendance du Piémont sous la tutelle de la Maison de Savoie depuis 1720 avec le roi Victor-Amédée III.
Plus largement, il s'agit de conquérir les esprits au-delà des frontières.
Cependant, sous des dehors de croisade anti-monarchiste, l'expédition de Sardaigne obéit à des motivations plus matérielles et moins avouables :
« Mais, à côté de ces devoirs des ardents révolutionnaires, il y avait les intérêts plus pressants de l'Etat; il était urgent de s'emparer au plus tôt, au nom de la République, des blés, des caisses et deniers, des munitions de guerre, des provisions de bouche, vins, salaisons, chevaux et bêtes à cornes, et de faire transporter le plus vite possible ces prises à Toulon et à Marseille. Voilà le vrai but de l'expédition. Le désintéressement du prosélytisme révolutionnaire cède le pas à des considérations d'intérêts primordiaux. »
Les graves accusations portées depuis Paris contre Paoli - dont certaines par Lucien Bonaparte - suscitent en Corse un émoi mêlé de révolte que l'arrivée des commissaires extraordinaires Saliceti et Lacombe Saint-Michel ne parviendra pas à calmer.
Devant le malaise, Napoléon renonce à se rendre à la cunsulta prévue en mai 1793 à Corte, échappant ainsi de justesse à une arrestation.
Un contre pouvoir s'installe alors dans l'île.
Mis en danger, les Bonaparte s'exilent à Marseille, un refuge temporaire en attendant des jours meilleurs.
Source : Lieutenant E. Peyrou. Expédition de Sardaigne. Charles-Lavauzelle éditeur.
Corse Matin et Wikipédia.