WANDA MASTOR : LE RAPPORT QUI PEUT PERMETTRE À LA CORSE DE FAIRE SES LOIS.

WANDA MASTOR : LE RAPPORT QUI PEUT PERMETTRE À LA CORSE DE FAIRE SES LOIS.

Dense mais accessible au profane, argumenté sans verser dans la technicité d'une matière à haute teneur en complexité juridique, le document remis jeudi soir par la professeure de droit constitutionnel Wanda Mastor à Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée de Corse, met l'accent sur plusieurs points qui plaident, assure la constitutionnaliste, en faveur d'une nouvelle évolution institutionnelle pour la Corse.

Revue de détail.

Une logique juridique

Inscrire la Corse dans la Constitution relèverait d'abord, au terme du rapport, d'une forme de logique.

Sur le plan de décentralisation, en particulier, principe désormais intangible depuis son inscription dans la Constitution en 2003, et qui fait de la France une République dont "l'organisation est décentralisée".

Au passage, la professeure de droit constitutionnel rappelle utilement la vacuité de la formule d'une république "une et indivisible" ânonnée par les Trissotin de plateaux télé, la référence à l'unicité ayant été abandonnée au cours du XXIe siècle.

Il n'y a cependant davantage, dans cette "logique", qu'une bataille terminologique.

"Dorénavant, note-t-elle, l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie peut adopter des "lois du pays" sur une douzaine de matières susceptibles de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité de la part du Conseil constitutionnel. Il n'est dès lors plus possible d'affirmer haut et fort que le pouvoir, au sein de la République française, ne se divise pas".

Reste à savoir si l'esprit des dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie, collectivité en voie d'accession à l'indépendance, aurait vocation à trouver un écho utile en Corse – ce n'est pas, du reste, ce que propose le rapport.

Des exemples étrangers

Wanda Mastor le rappelle : "L'autonomie interne d'une région n'entraîne pas la violation du principe de l'indivisibilité de la République".

Outre le cas espagnol, la Constitution italienne - "une et indivisible", pour le coup - consacre-t-elle dans son article 5 les "autonomies locales".

De la même manière, la Constitution du Portugal, nation "une et indivisible" elle aussi, reconnaît l'autonomie de deux régions insulaires.

 

Dès lors, pourquoi pas la France ?

Certes, l'argument apparaît séduisant au titre du droit comparé.

Mais comparaison n'est pas raison : chacun des pays cités en exemple tire son organisation institutionnelle d'une histoire politique et juridique propre, fort éloignée de celle de la France, État aux réflexes centralisateurs quasi pavloviens.

La consécration de spécificités déjà reconnues

Statuts Defferre et Joxe, statut de 2002, loi NOTRe et collectivité unique : la Corse dispose déjà d'un statut institutionnel particulier (marqué notamment par l'existence d'un conseil exécutif) et de compétences étendues dans plusieurs domaines (éducation, culture, environnement, urbanisme, logement, transports, emploi, pour ne citer que ceux-ci).

Dès lors,en lieu et place d'un empilement de textes ou de dispositions constitutionnelles éparpillées, "les exigences de clarté et de cohérence du texte suprême rendraient logique l'insertion d'un nouvel article qui serait spécifique [À LA CORSE]", analyse Wanda Mastor.

La dévolution d'un pouvoir législatif

Aboutissement de l'ensemble de ces considérations, la spécialiste propose la dévolution d'un pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse dans trois domaines jugés cruciaux pour l'avenir et le développement de l'île : la langue, le foncier et la fiscalité.

Ce transfert des compétences normalement dévolues à l'État serait inscrit à l'article 74-2 de la Constitution et soumis à l'avis facultatif du Conseil constitutionnel.

Précision de poids : toute modification par la loi de l'organisation de la collectivité de Corse ne pourrait avoir lieu "qu'après la consultation de son assemblée délibérante".

Un moment politique particulier

"Le débat sur l'avenir institutionnel de l'île ne peut se faire dans un climat serein que s'il se recentre sur les arguments juridiques", écrit enfin Wanda Mastor.

Pour autant, il se situe à un "moment politique" particulier, d'abord marqué par une très confortable victoire des nationalistes de Pè a Corsica aux élections territoriales de décembre dernier.

Conséquence de cette victoire : la revendication en faveur d'une autonomie accrue constituerait désormais un fait majoritaire dans l'opinion.

Mais, de manière subtile, la constitutionnaliste met surtout l'accent sur les propres déclarations d'Emmanuel Macron depuis l'annonce d'un "nouveau  pacte girondin" à Furiani, le 7 avril 2017.

Envolées en faveur de "la diversité des territoires" en juillet dernier.

Prise de position favorable à l'adaptation de normes spécifiques pour répondre "aux défis de nos territoires" à l'occasion du 100e Congrès des maires de France du 24 novembre 2017.

Le président de la République a surtout évoqué, devant le Parlement réuni en congrès le 3 novembre 2017, "les territoires " en réalité savent mieux l'organisation qui est la plus pertinente pour eux".

Demeure, par-delà ces déclarations d'intention, une question : jusqu'où le président Emmanuel Macron, qui a accompli ses classes politiques dans l'ombre du très souverainiste Jean-Pierre Chevènement, est-il prêt à ne pas aller trop loin ?

Article Corse Matin. --

https://twitter.com/wandamastor/status/782247043389595649

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