JEAN FRANÇOIS DE CARBUCCIA.

JEAN FRANÇOIS DE CARBUCCIA.

Carbuccia, 1914.

Jules-François était un grand garçon doux et souriant.

Comme la plupart des jeunes du village, il sortait souvent le soir.

En fait, il était d’usage de faire la veillée au coin du feu, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre.

On racontait des histoires impressionnantes sur le Mazzeri, Lagramanti, les Streghi, les Acciacatori...

Jules-François avait une singulière habitude pour rentrer chez lui.

Il passait par la fenêtre basse du rez-de-chaussée.

Cela en avait toujours été ainsi.

Laure et Barbarella étaient assises devant la cheminée.

Elles avaient enfin posé leur ouvrage.

Inlassablement, elles avaient tricoté des chaussettes pour les malheureux soldats.

Maintenant, elles regardaient le feu et aucune d’elles n’éprouvait le désir de rompre le silence.

Ce silence était total, il était parfois troublé par le crépitement léger de l’âtre.

La cloche de l’église venait de sonner onze coups.

Les minutes passaient.

Les deux femmes n’étaient pas pressées de gagner leurs couches.

Songeaient-elles aux jours heureux ?

Soudain, un pas sur la route les tira de leur torpeur.

Qui pouvait venir à une heure aussi tardive ?

Le pas semblait décidé.

C’était un pas d’homme, d’un homme jeune, d’un solide garçon.

Le bruit du pas s’atténua, lorsqu’il gravit les marches de terre battue.

Il se fit plus distinct lorsqu’il accéda à la terrasse.

Il se rapprochait.

Les deux sœurs se regardaient, les yeux écarquillés.

Dans un souffle, Laure avait murmuré le prénom de son fils.

Elles ne bougeaient plus.

Le pas s’était arrêté devant la fenêtre.

Cette fenêtre, on l’enjambait et l’on sautait à l’intérieur.

Le sang des deux femmes s’était glacé dans leurs veines, elles étaient pétrifiées.

Longtemps, elles restèrent immobiles.

L’une d’elles se signa avant d’éclater en sanglots.

Le jour les trouva prostrées devant le feu éteint.

On devait apprendre que Jules-François, le fils de Laure et Jean-Baptiste, le frère de Laure et Barbarella étaient morts ce soir-là à Verdun.

L’oncle et le neveu avaient péri sur un pont miné, aux alentours de onze heures du soir.

Jules-François était revenu dans sa maison.

 

Extrait - Certains de la Diaspora.
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