LA CORSE SOUS LA MENACE ANGLAISE. L'ATTAQUE DE SAGONE
La flotte anglaise à la périphérie de l’Empire
Après Trafalgar, les Anglais, qui n’ont jamais fortifié leurs côtes, considèrent plus que jamais que « les frontières de l’Angleterre se trouvent sur les côtes de ses ennemis ».
Alors que les troupes napoléoniennes promènent leurs étendards victorieux à travers toute l’Europe, la marine britannique exerce une pression constante sur les littoraux de la Méditerranée, de l’Atlantique et de la mer du Nord.
Ses escadres exercent un blocus rapproché, permanent et humiliant devant tous les ports de guerre ou de commerce.
Les marins anglais multiplient les coups de main et les opérations de commandos contre les côtes : ils s’emparent des navires de commerce français, ruinant tout négoce, enlèvent des patrouilles, attaquent les batteries.
Frégates et navires légers contrôlent même la pêche et s’efforcent d’entraver le cabotage, alors essentiel au ravitaillement de nombreux ports.
La Corse vit alors en permanence sous la menace anglaise.
Installés en Sardaigne, les Anglais multiplient les incursions contre les convois de céréales qui viennent ravitailler l’île ou contre les bateaux chargés de bois qui en partent, afin d’empêcher la construction navale française.
Le risque d’un débarquement se profile derrière chaque coup de main.
La contrebande prospère en s’appuyant sur les liens familiaux qui existent entre les populations des deux îles.
Mais les Corses vivent dans un contexte de pénurie tandis que les douanes procèdent périodiquement, selon la loi, à des brûlements de marchandises saisies, qui impressionnent vivement les populations.
Une attaque d’escadre anglaise
Trois vaisseaux anglais, immobilisés par l’absence de vent, partent à l’attaque avec une rare audace : les deux lourdes frégates se font remorquer par des files de canots à rames, et les marins du brick actionnent de longs avirons par les sabords.
Au fond de la baie, deux frégates françaises, la Girafe et la Nourrice, ainsi qu’un navire marchand armé, se sont embossés à toucher la terre.
Quelle protection peuvent-ils attendre des bouches à feu installées sur les vieilles défenses de la plage, et des troupes sur les hauteurs qu’une artillerie insuffisante prive des avantages de leur position dominante ?
Savent-ils que le capitaine Barrie commande la Pomone ?
Près de la terre ferme, les Français redoutent-ils moins d’être faits prisonniers ? Les pontons anglais ont une réputation sinistre…
Barrie a jaugé la capacité de feu des quelques canons conservés par les bateaux (vingt-six pour la Girafe et vingt-huit pour la Nourrice) et des batteries sur la côte. On distingue, côté français, l’entrée en action de l’artillerie installée sur la plate-forme supérieure de la tour et de la batterie construite au pied de celle-ci.
A 6 heures et demie, Barrie engage le feu.
Moins de deux heures de salves d’artillerie pulvérisent la résistance des Français.
D’après les sources anglaises, dès que les navires français sont en feu, les Anglais se retirent, pour éviter les retombées de l’explosion de la Girafe et de l’incendie des navires et batteries.
Nul doute que l’opinion publique anglaise a dû apprécier cette vision d’apocalypse déclenchée par une attaque à la rame !
Côté français, le bulletin de police du 25 mai 1811 indique que l’équipage « attaqué à midi » a lui-même mis le feu « vers le soir » puis s’est « retiré », sous le « feu continuel par des pièces de 24 et des obus, sans qu’on eût aucun moyen sur ce point pour y répondre ».
Le soulagement perce toutefois : les Anglais n’ont pas débarqué et ne se sont pas emparés de la cargaison !
Le récit communiqué à l’Empereur.
L’Empereur a appris cette affaire importante par une voie exceptionnelle.
Il réagit, le 21 mai, par une lettre au ministre de la Marine qui reproche au préfet maritime de Toulon de ne pas avoir construit les batteries nécessaires pour protéger l’embarquement du bois.
Il ne laissera pas cette affaire sans suite.
Le 23 août, il exige des mesures énergiques et punitives, après avoir acquis la preuve d’une défense insuffisante du côté français.
Ordre est donné de récupérer le chargement et l’armement de la Nourrice, avec des plongeurs. L’exécution a sans doute suivi, car des recherches d’archéologie sous-marine récentes ont révélé qu’une seule épave, celle de la Girafe, gît aujourd’hui au fond du golfe de Sagone.
Ce bulletin du 25 mai qui relate les événements du 1er – soit un délai de transmission de trois semaines – montre comment Napoléon était informé des événements courants, de moindre importance stratégique.
Source : Luce-Marie ALBIGÈS et Alain VENTURINI. histoire-image.org
Photo : Robert HAVELL (1769 - 1832)