En 1840, Gustave Flaubert, 19 ans est devenu voyageur, en accomplissant le rituel du Grand Tour.
Et c'est la Corse qui invite d'emblée au dépaysement et du même coup à un cheminement via des mots.
Le jeune homme sillonne l'île quinze jours durant, prend goût au maquis à la lumière méditerranéenne et aux histoires modestes racontées à mi-voix.
Chaque jour, il s'applique à rendre compte par écrit et de la manière la plus fidèle possible de ce qu'il a découvert.
Flaubert donne ainsi à la littérature un journal de voyage.
Le récit corse sera donc l'un des premiers jalons de son oeuvre.
Ni préjugés ni poncifsFlaubert a congédié les préjugés et déconstruit les poncifs "véhiculés depuis les années 1800 par la plupart des gens qui ont écrit sur la Corse.
Le jeune voyageur, pour sa part, ne pense pas l'île comme une terre de bandits, d'assassins et de vendetta.
Sur la route de Murzo
À sa manière, Flaubert contribue à "faire un sort à ces images toutes faites".
Sous sa plume, l'île rayonne davantage à travers une mer "qui a un parfum plus suave que les roses (...) le soleil, la brise marine, l'odeur des myrtes", ainsi qu'une campagne qui "embaume de fleurs cachées que la suprême beauté a fait éclore."
Ailleurs, depuis la route de Murzo, l'écrivain voyageur hors mode, s'attarde devant la crête rocheuse de la Sposata.
"A notre gauche, s'élevaient les sept pics de la Spoza avec la tête qui la couronne. Ces sept pics sont autant de cavaliers et cette tête est la tête d'une femme".
`Les paysages, les ambiances l'enchantent.
Liberté et éternité
Et le séjour résistera au passage du temps.
"De cette façon, la beauté du paysage corse demeure à jamais vivante dans sa mémoire, permettant de revivre inlassablement le bonheur qu'elle lui a procuré".
Le voyageur se fait le peintre de "l'état de nature, de la liberté primordiale et de l'éternité.
La Corse de Flaubert étonne.
De ce décor surgissent les figures mythiques du berger et du bandit mais aussi celles d'hommes et de femmes caractérisés par "l'esprit de finesse et d'héroïsme.
Il raconte volontiers que la population est aussi proche de l'Antiquité.
"J'ai été frappé par la physionomie antique du Corse dans la physionomie d'un jeune homme qui nous a accompagnés jusqu'à Guagno. (...) Une seule ligne seulement, interrompue par un sourcil noir faisant angle droit, s'étendait depuis le haut du front jusqu'au bout du nez ; bouche mince et fine, barbe noire et frisée comme dans les camées de César, menton carré : un profil de médaille romaine".
Aleria dans la plaine
La Corse frappe l'imaginaire et fait rêver jusque dans ses caseddi les plus sordides.
" Flaubert observe le délabrement des maisons ou des lieux qu'il rencontre au gré de son séjour. Il semble que cet intérêt se justifie par un goût pour les vestiges d'une grandeur perdue qui n'ont désormais plus de valeur que celle de l'imagination du voyageur leur accorde".
Parfois les rythmes antiques et orientaux se conjuguent comme à Aleria.
"Ensevelie dans cette plaine vide et blanche. Elle me semblait une de ces cités d'Orient, mortes depuis longtemps et que nous rêvons si tristes et si belles, y replaçant tous les rêves de grandeur que l'humanité a eus".
À sa façon, la Corse fait écho à L'Éducation sentimentale ou à Madame Bovary.
La Corse de Gustave Flaubert, impressions de voyage, 1835 ; Textes présentés par Christophe Luzi, docteur es lettres, ingénieur de recherche CNRS à l'université de Corse.
Ed Albiana, 108 pp ; 9 euros
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