LE RÊVE AMÉRICAIN DE NAPOLÉON.

Après Waterloo, l'empereur déchu aurait voulu s'exiler aux Etats-Unis et s'y consacrer à la lecture et aux sciences, tandis que certains de ses proches songèrent à le faire évader de Saint-Hélène pour gagner l'Amérique.

 

«Ma carrière politique est terminée», confie-t-il à ses proches. Mais contrairement à d’autres hommes politiques ayant fait la même confidence à leur entourage un soir de défaite, Napoléon semble bien décidé à tenir parole.

Il abdique le 22 juin en faveur de son fils, Napoléon II. L’acte est presque dérisoire car le Roi de Rome est en Autriche, avec sa mère, l’impératrice Marie-Louise, et l’Autriche, en guerre avec la France, n’a évidemment aucune intention de laisser le jeune garçon (il a 4 ans) monter sur le trône d’un Empire français à qui elle nie tout début de légitimité.

Départ pour Rochefort

Mais Napoléon n’en a presque cure. Car il a fixé son plan: traverser l’Atlantique, s’installer en Amérique, acheter une propriété et se consacrer à la lecture et aux sciences. Napoléon se voit admirablement en Cincinnatus des temps modernes. Il a déjà une fausse identité, celle du colonel Muiron. Il s’est confié à Monge, le mathématicien qui l’avait accompagné en Italie et en Egypte alors qu’il n’était que le général Bonaparte et qui est resté un de ses fidèles:

«Le désœuvrement serait pour moi la plus cruelle des tortures. Désormais, sans armées et sans empire, je ne vois que les sciences qui puissent simposer fortement àmon âme. Mais apprendre ce que les autres ont fait ne saurait me suffire. Je veux faire une nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes dignes de moi. Il me faut un compagnon qui me mette dabord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite, nous parcourrons ensemble le Nouveau Continent depuis le Canada jusquau Cap Horn, et dans cet immense voyage nous étudierons tous les phénomènes de la physique et du globe.»

 

Le 25 juin, Napoléon gagne la propriété de la Malmaison, première étape vers l’Amérique. Des meubles, des livres, des instruments scientifiques sont rassemblés.  C’est habillé en bourgeois qu’il part pour Rochefort le 29 juin. Là-bas, deux frégates, la Saale et la Méduse(oui, cette Méduse-là!) l’attendent. Mais naturellement, l’Angleterre a organisé un blocus des ports français et pour franchir ce rideau naval, il faut à Napoléon des sauf-conduits. Fouché, à qui il les a demandés, temporise. C’est qu’une nouvelle Restauration s’annonce et que l’ancien ministre de la police de Napoléon, qui à beaucoup à se faire pardonner auprès des royalistes, entend faire en sorte de se placer. C’est même lui qui alerte les Britanniques sur les intentions de Napoléon.

L’entourage de ce dernier est divisé. Nombreux sont ceux qui tentent, plus ou moins discrètement, de le convaincre que le sort en est jeté et qu’il n’y a plus qu’à se rentre aux Anglais, qui le traiteront sans doute comme un hôte, puisqu’il ne représente plus de danger. D’autres, comme le général Lallemand, lui proposent de quitter Rochefort et d’embarquer plus discrètement sur un navire à l’embouchure de la Gironde. Mais Napoléon est las.

POURQUOI PAS L'ANGLETERRE ?

D’autant que des pourparlers ont commencé avec le capitaine du HMS Bellerophon, un navire de 74 canons qui surveille l’embouchure de la Charente. Celui-ci assure les émissaires de Napoléon que ce dernier sera transféré en Angleterre et y sera l’hôte du peuple anglais. La proposition est alléchante, car dès qu’il aura mis le pied sur le sol anglais, Napoléon pourra se prévaloir de l’Habeas Corpus, qui interdit l’internement sans procès.

 

Le 8 juillet 1815, il embarque pour l’île d’Aix; le 13 juillet, il prend la mer et le 15 juillet, monte à bord du HMS Bellerophon. Il est alors non le prisonnier (et à quel titre le serait-il?) mais l’hôte du capitaine Maitland, commandant ce navire. Napoléon fuit donc la France, où il ne peut rien espérer de bon du retour des Bourbons, et vient se placer sous la protection de la couronne britannique. Puisque le chemin de l’Amérique lui est barré, pourquoi ne pas vivre en Angleterre? Napoléon est persuadé d’y être populaire. Il pourrait y vivre confortablement sous la protection des lois anglaises.

Seulement voilà: le capitaine anglais a des instructions. Il est exclu que Napoléon mette le pied en Angleterre, et encore moins en Amérique. Les Anglais, qui vouent à Napoléon un mélange d’admiration, de haine et de crainte, n’ont aucune intention de le voir s’installer paisiblement aux Etats-Unis, où il pourrait fomenter on ne sait quel mauvais coup génial. Il est tout aussi exclu de le retenir sur une île ou des terres proches de la France, à commencer par l’Angleterre. Le navire va donc rejoindre Torquay avant de mouiller devant Portsmouth, sans que Napoléon ne débarque. Durant les trois semaines où l’Empereur réside dans les eaux territoriales britanniques, les canots se pressent pour l’apercevoir sur la coupée du navire où il est devenu un prisonnier, confortant Napoléon dans l’idée que le peuple anglais ne lui voue pas de haine.

Quant au gouvernement anglais, c’est une autre affaire. Son seul souci est de s’assurer que le «général Bonaparte» va être mis définitivement hors d’état d’interférer dans les affaires de l’Europe.

Article de : Antoine Bourguilleau. slate.fr

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