LES LESTRYGONS.

   

Bonifacio les Lestrygons.

Lorsque Homère conte l’épisode des Lestrygons – quasi-géants destructeurs de navires et consommateurs de chair humaine – qui font leur repas de l’un des compagnons d’Ulysse et harponnent comme des thons bon nombre d’entre eux (Homère, Odyssée, chant X), il décrit leur lieu de vie de telle manière qu’il ressemble suffisamment au goulet de Bonifacio (Corse-du-Sud) pour s’y méprendre ou s’égarer en spéculations de tous ordres.

Pierre Antonetti, dans une étude au titre évocateur (Ulysse à Bonifacio, 1980), est pourtant déjà circonspect, tout comme l’est Jean Cuisenier [2003] qui, au chapitre 21 de son ouvrage, démontre la fausseté de cette attribution. Mais une telle prudence n’a pas toujours été imitée : Louis Moulinier [1958] défendra la thèse bonifacienne, reprise en 1978 par Gaston d’Angelis et Don Giorgi, puis étayée par les mêmes [1995] sur une découverte par les préhistoriens d’un sentier que suivaient les néolithiques occupant ce plateau.

Tout récemment encore, Olivier Jehasse (article Lestrygons du Dictionnaire historique de la Corse, 2006) indique que « rien n’interdit de donner crédit à cette proposition ». Le regard qui décrypte la saga homérique ou cherche à déterminer le caractère des populations insulaires « originelles » est certes différent – ce n’est pas le même espoir qui motive l’helléniste et l’historien insulaire – mais la référence odysséenne reste dans les deux cas incomplète : on revendique une part du récit sans vouloir en extraire tout le suc.

Le sens initiatique de la quête d’Ulysse dans cet espace méditerranéen pourtant restreint rend possibles certaines correspondances : s’il n’est pas natif de la « bonne » île, comment aurait-il pu en effet manquer d’y accoster ou de s’en approcher dans une mer où elle figure parmi les plus grands « rochers » ?

L’Odyssée en devient donc tout naturellement et forcément un peu... corse ; ou la Corse quelque peu homérique ! Pour peu bien entendu que l’on s’en tienne à la description géographique car les Lestrygons ne sont pas d’un intérêt touristique majeur, ni porteurs d’une identité flatteuse pour des habitants alors assimilés à de doux pasteurs anthropophages.

L’Odyssée, fabrique de l’identité grecque (entendue dans sa vulgate occidentale moderne comme la matrice universelle) à partir de toutes les altérités réelles, possibles et imaginables, parle donc forcément de la Corse.

Mais il est tout aussi capital de revendiquer que de réfuter la paternité corse des Lestrygons.

La revendication sert autant des objectifs touristiques, mercantiles qu’identitaires.

Un rapide coup d’œil aux présentations de la ville de Bonifacio dans les Guides bleus de 1968, 1978 et 2006 étaye cette hypothèse.

La référence à Ulysse y est absente en 1968, mais inaugure en 1978 le descriptif de la ville – tout en laissant la paternité des « hypothèses » à Louis Moulinier.

Enfin, en 2006, l’affirmation est à peine déguisée : « Selon la légende, Ulysse et ses compagnons, dans leur périple initiatique autour de la Méditerranée, rencontrèrent ici une race de géants avant d’aller aborder l’île de Circé. »

Ni l’un ni l’autre de ces guides ne décrivent toutefois les caractéristiques peu engageantes des sujets d’Antipathès que souligne pourtant avec force l’Odyssée.

La réfutation, elle, s’accommode des exigences de l’exactitude scientifique tout en s’enracinant aussi dans l’imaginaire : sans avoir bénéficié de la même visibilité scientifique que d’autres, les Lestrygons anthropophages nous ramènent, toutes proportions gardées, aux fâcheuses mésaventures du capitaine Cook et, au-delà, au débat animé entre anthropologues à propos des pratiques cannibales aux îles Fidji ou Samoa [Obeyesekere, 1998 ; Sahlins, 2003]. Le débat anthropologique sur le thème du cannibalisme a d’ailleurs suscité tant de possibles, s’étirant du rite primitif à la fable de marin [Kilani, 2003], qu’il pourrait lui-même apparaître comme un véritable monstre.

Et c’est finalement la soudaine apparition des Lestrygons dans la « tradition » insulaire, et leur apport fondamental à la structuration de sa culture, qui porte à les classer dans la catégorie des « monstres anthropologiques », car ils en ont les caractéristiques jusqu’aux occultations opportunes.

La souplesse adaptative d’un monstre est bien l’une des conditions de sa pérennisation.

Bernard Biancarelli et Christine Bonardi, « De quelques monstres anthropologiques insu- laires », Ethnologie française 2008/3 (Vol. 38), p. 489-505. 

Par alain di meglio 

 

Lestrygons

en grec Laistrugones

Peuple légendaire de géants anthropophages mentionnés dans l'Odyssée .

Voisins des Cyclopes, les Lestrygons habitaient la Sicile, dans la région de l'Etna. Les navires d'Ulysse et de ses compagnons, de retour de la guerre de Troie, firent relâche dans le port de leur capitale, Télépylos. Mais les Lestrygons coulèrent leurs bateaux et dévorèrent les Grecs ; seul le vaisseau d'Ulysse qui, par prudence, avait jeté l'ancre au large, échappa à ce massacre.

Encyclopédie Larousse.

 

 


En savoir plus sur http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Lestrygons/181060#vJftEew8ubcTEK3X.99

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