LES GIOVANNALI PAR DOROTHY CARRINGTON.
LES GIOVANNALI
Les Giovannali !
C’est un sujet que j’ai beaucoup travaillé dans mon livre Corse, île de granit.
Ce sont des Fraticelli, c’est bien le mot.
C’était une partie dissidente de l’ordre Franciscain.
Après la mort de Saint-François, ils voulaient suivre l’Evangile de façon absolument rigoureuse ; ne rien posséder, ni individuellement ni en commun.
Ne rien mettre de côté pour l’avenir ; vivre au jour le jour.
C’étaient les Fraticelli.
Et puis, il y avait les Franciscains, les conventuels, qui voulaient assouplir la raideur de cette règle, qui était assez difficile à suivre.
Les Fraticelli ont été persécutés.
C’est une des branches, une antenne, les Fraticelli, qui est venue en Corse à partir de Marseille.
C’est un certain Corse qui habitait Marseille, et qui s’appelait Ristoro, qui avait implanté cette déviation de la règle de Saint François, chez le Tiers-Ordre franciscain.
A Carbini, en1352, c’est un ordre de laïcs qui suit les idées franciscaines.
C’était un endroit assez peuplé à l’époque, et loin de tout, on n’y entrait pas facilement.
Alors ce courant de pensée, qui était un courant de pensée révolutionnaire, (et qui) est toujours, dans l’esprit des Corses, qui ont toujours recherché, à travers toute l’histoire corse, une société d’égalité.
C’était un mouvement dirigé contre les féodaux et les grands patrons de l’Eglise.
C’était tout à fait en harmonie avec la pensée corse.
Ils furent vaincus et massacrés par une croisade envoyée par la Papauté.
Mais la partie politique du mouvement, qui était inspirée des Giovannali, de Sambucuccio d’Alando, a partiellement réussi.
Les féodaux ont été effectivement écrasés.
Ils ont pris par la force le Couvent d’Alesani, et ils s’y sont retranchés, ils y furent massacrés.
Ce sont des choses qui arrivaient au Moyen-Age.
Mais ce qui est intéressant c’est le caractère social très prononcé de ce mouvement, et le fait que, en dehors des questions religieuses, ce mouvement a triomphé en Corse.
La Corse est l’un des premiers pays d’Europe qui s’est libéré de la féodalité !
Voilà encore l’originalité de la Corse !
Le système de la commune a existé depuis toujours en Corse.
Les féodaux n’ont jamais pu l’écraser, d’abord parce que les Corses étaient trop résistants, et puis aussi parce que les communications à l’époque é étaient très difficiles.
Ces villages enfermés dans de petites vallées de montagne, séparées les unes des autres, ont toujours mené leur organisation sociale à leur façon, qui était plutôt démocratique.
Mais ils ont obtenu un appui énorme avec Sambucuccio d’Alando, qui a dépossédé les féodaux.
Certains ont survécu un peu dans le Sud, mais ils étaient brisés.
Alors cela distingue la Corse de la plupart des pays de l’Europe la noblesse n’a pas prévalu en Corse, pas du tout.
Les clans c’est un phénomène de la démocratie.
On fait l’élection d’un chef et on le suit.
Mais la féodalité, la noblesse, la vieille noblesse européenne, strictement héréditaire est quelque chose de beaucoup plus écrasant.
Alors les Corses s’en sont débarrassés de bonne heure.
Ce sont des gens bien étonnants !
Texte : Charles Antoni Entretien avec Dorothy Carrington.
Photo de l'ancienne �glise Romane de Carbini. Film Polaroid 665 et Mamiya Press.