MARIA GENTILE L'ANTIGONE DE POGGIO D'OLETTA

Le 3 mars 1769, sous les chefs d’inculpation de « conspiration » et de « complot contre le roi » Marbeuf renvoie devant le Tribunal civil de Bastia présidé par Chardon cinq patriotes corses, ce qui permettra de les condamner lourdement, alors même, nous rappelle Jacques Grégori, « que le prétendu crime n’avait pas encore reçu un commencement d’exécution puisque le soulèvement d’Oletta n’avait pas eu lieu ».

L’exécution de la sentence a lieu le 25 septembre 1769.

Parmi les patriotes exécutés figure le fiancé de Maria Gentile. L’incertitude majeure porte sur le nom de famille de Maria Gentile. Selon Jacques Denis, auteur entre autre d’une étude, Maria Gentile porterait le patronyme de Belgodere, et serait la fiancée de Giovanni Guidoni. D’après Yvia Croce in « La Révolution Corse (1729-1769) », il s’agirait de Maria Gentile Guidoni fiancée à Don Pietro Leccia.

Le corps désormais pitoyable de son fiancé est encore exposé, en ce début d’automne 1769, sur la place du couvent Saint François d’Oletta, gardé par les soldats du roi, avec interdiction absolue à quiconque de s’en approcher.

Que faire face à un tel déploiement de moyens ?

Maria Gentile est alors à peine âgée d’une vingtaine d’années. Élevée selon le code de l’honneur corse, elle possède la passion des jeunes filles de son âge. Ce qui domine cependant en elle, par-dessus tout, c’est sa soif d’absolu.

« Comu ! Aghju persu u lumu di l’ochji, a luma di u cori, u punteddu vivu di a casa, è staraghju quicci à mani bioti, à spaddi scunsi di pinseri è di primura … ? » (« U Maceddu » de Rinatu Coti.)

La décision est désormais arrêtée : coûte que coûte, elle prendra, à la nuit tombée, au moment où la garde se fait moins vigilante, le petit chemin qui descend jusqu’au couvent depuis le promontoire de Monticellu, en contrebas du village de Poggio d’Oletta. C’est sa conscience qui la pousse.

Comme Antigone, Maria Gentile va accomplir un acte inutile mais nécessaire, afin de donner à son fiancé une sépulture digne.

« …È vogliu renda u so duveru à l’omu. L’usanzi i mantinimu noi altri i donni, patroni di a rocca è di u focu di casa » (Rinatu Coti, « U Maceddu »).

L’intolérable serait de laisser sans tombeau les corps en décomposition, celui du frère pour l’une, celui du fiancé pour l’autre. Comme Antigone, Maria Gentile bravera la loi, parce que « un mort n’a pas besoin d’être tué deux fois ».

Maria Gentile, n’admet pas non plus l’implacable loi mais, contrairement à celle de Thèbes pour Antigone, cette loi-là est imposée de l’extérieur. C’est la loi du tyran qui va jusqu’à bafouer le culte des morts.

C’est en continuant à vivre, à lutter, que Maria Gentile pourra vaincre la loi barbare. Le combat, selon elle, doit être mené jusqu’à son terme, c’est ainsi. Le Créon de Maria Gentile se serait, dit-on, montré magnanime vis-à-vis de la jeune fille. Ne se trouve – t-il pas plutôt, sur l’instant, déstabilisé, décontenancé, par la formidable conviction qui émane d’elle ? Et tout autour, la répression ne continue-t-elle pas ?

Comme il est d’usage en cas de mort violente du fiancé, Maria Gentile, femme de devoir mais femme libre, épousera le frère du malheureux, les mariages étant aussi des alliances entre familles.

Jean-Claude Calassi

Accademia Corsa, ghjennaghju 2006. Photo : Wikipédia.

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