UNE VENDETTA DANS LE NIOLO.
UNE VENDETTA DANS LE NIOLO.
Une des inimitiés célèbres du Niolo est celle qui a divisé autrefois les familles Leca et Tartarola.
Une vingtaine de meurtres de part et d'autres avaient déjà surexcité les haines, lorsque se produisit l'évènement qui suit.
 
Un soir Leca revenait des environs, où il s'était mis en embuscade avec deux des siens, pour attendre ses ennemis qui devaient arriver de la plage.
 
Ne les ayant pas aperçus, il rentrait chez lui.
Mais, pour regagner son domicile, il était obligé de traverser le hameau qui ses ennemis habitaient.
 
Arrivé à une certaine distance des maisons, Leca parait redouter un piège et devient hésitant; certains indices qui ont échappé aux autres l'ont mis en éveil; il fait part de ses appréhensions à ses deux affiliés et on délibère à voix basse.
 
Ses compagnons, en fin de compte, ne partageant pas ses craintes, poursuivent la route.
Lui, certain du sort qui l'attend, prend une résolution suprême: il s'avance résolument vers le hameau et va frapper à la porte de Tartarola, le chef de ses ennemis, et tandis que la porte s'entre-bâille, le crépitement d'une fusillade lointaine traverse l'obscurité.
 
"Qui va là, s'écrie Tartarola, pendant que plusieurs membres de sa famille courent aux armes.
- C'est Leca Hilaire, ton ennemi, qui vient te demander l'hospitalité pour cette nuit." En même temps il passe son pistolet, son stylet et son fusil par la porte entr'ouverte, pour témoigner quelle confiance il met dans la loyauté de son adversaire.
 
"Entre", dit simplement Tartarola.
 
On fait bon accueil à cet ennemi devenu un hôte, on lui dit de s'asseoir, on lui offre à manger. I
l refuse les aliments et n'accepte qu'une place auprès du foyer.
 
Comme il ne veut pas se coucher, son ennemi et sa famille se décident à passer la nuit entière avec lui, auprès du feu, causant sur toutes sortes de sujets sans que, de part et d'autre, il soit prononcé un seul mot ayant trait à l'inimitié qui les divise.
 
Au matin, lorsque les premiers rayons du soleil dorent la cime des montagnes, Leca manifeste le désir de regagner sa demeure. Tartarola l'accompagne après avoir recommandé aux siens de surseoir à toute attaque.
Il lui serre la main en le quittant et lui dit:
"Maintenant nous voici de nouveau ennemis comme par le passé, va, et lorsque nous nous rencontrerons, ce seront les fusils et les stylets qui s'adresseront un salut."
 
Les coups de feu entendus la veille au moment où s'ouvrait la porte avaient tué ses deux compagnons. L'embuscade était réellement préparée: l'instinct de Leca ne l'avait pas trompé.
 
Le Niolo a été autrefois tristement célèbre par ses vendette. Aujourd'hui les passions sont un peu apaisées, les haines presque éteintes.
 
Les fusils ont pourtant la détente toujours facile dans le Niolo.
La foire à Casamaccioli le 8 septembre est très tumultueuse et trois brigades de gendarmerie s'y rendent pour maintenir l'ordre et empêcher les batailles fréquentes entre les habitants.
 
Cette année, il s'est produit une simple tentative de meurtre pour un motif futile. Mais, au moment où l'on procédait à l'arrestation de l'agresseur, trente canons de fusils se sont dirigés vers les gendarmes.
Le maire alors est intervenu, il a calmé les esprits, et comme force devait rester à la loi, en apparence du moins, il a laissé arrêter le prévenu, s'engageant vis-à-vis des autres à le faire remettre en liberté aussitôt après, ce qui a eu lieu en effet.
Extrait du livre: Les Iles oubliées de Gaston Vuillier
Paris, 1893
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