VICTOR HUGO ET NAPOLEON III : POURQUOI AUTANT DE HAINE ?
VICTOR HUGO ET NAPOLEON III : POURQUOI AUTANT DE HAINE ?
En 1848, Hugo a alors 46 ans et un passé impressionnant. Académicien français depuis dix ans, pair de France par la grâce du roi Louis-Philippe, il a été élu maire du 8e arrondissement de Paris le 25 février 1848, puis député le 4 juin 1848. C’est à la fois un écrivain à succès et une personnalité politique en vue.
Louis-Napoléon Bonaparte et Victor Hugo ont d’abord été, sinon amis, du moins alliés.
Elus tous les deux députés de la Seine de l’Assemblée constituante, ils se rencontrent à de multiples reprises.
Ils se croisent notamment chez Odilon Barrot, président du Conseil, rue de la Tour d’Auvergne, à Paris. L’écrivain juge alors Louis-Napoléon «distingué et intelligent».
Lors de la campagne électorale de décembre 1848, il soutient sa candidature à la présidence de la République, menant une vigoureuse campagne en sa faveur dans L’Evénement, le journal qu’il avait fondé avec ses fils Charles et François-Victor.
Une fois le prince élu, Victor Hugo compte parmi les premiers invités à l’Elysée. Il devient, quelque temps, une sorte de conseiller officieux que le chef de l’Etat reçoit en fin de journée dans son palais pour de discrets entretiens – ce qu’on appellera plus tard, un «visiteur du soir».
Il brigue alors le ministère de l’Instruction publique, mais Louis-Napoléon le lui refuse. Est ce pour cela que leur entente vole en éclats ? C’est possible, les questions d’enseignement étaient l’une de ses préoccupations majeures. Il est probable qu’elles soient un point de discorde, voire à l’origine de la rupture.
Le prince-président, en effet, pour s’attacher l’électorat catholique, confie le ministère au comte Alfred de Falloux, lequel, par la loi portant son nom, ouvre en grand l’enseignement au clergé…
Victor Hugo, défenseur d’une école laïque, est furieux.
Au chapitre des griefs, il y a aussi, surtout, le «crime» de Louis-Napoléon Bonaparte, le coup d’Etat du 2 décembre 1851.
Qu’il faut replacer dans son contexte. La Chambre des députés était aux mains d’une majorité monarchiste puissante et active, hostile au suffrage universel comme aux institutions républicaines.
Louis-Napoléon Bonaparte, ne pouvait pas briguer un deuxième mandat.
George Sand constatait : «Nous n’étions vraiment plus en République, nous étions gouvernés par une oligarchie, et je ne tiens pas plus à l’oligarchie qu’à l’empire. Je crois que j’aime encore mieux l’empire.»
Tel devait être l’état d’esprit de bien des citoyens.
«Une majorité de Français n’a pas désapprouvé Louis-Napoléon et en était même satisfaite.»
En outre, le coup d’Etat a été relativement peu sanglant – 300 à 400 victimes, en comparaison des 5 000 morts sur les barricades ouvrières de juin 1848.
Louis-Napoléon Bonaparte a toujours déploré, par la suite, l’atteinte à la légalité dont il s’est rendu coupable, et les violences qui l’ont accompagné. Mais il a pu se prévaloir aussi d’avoir, par son action, sauvé ce qui pouvait l’être des idéaux de 1789.
Victor Hugo, dans un registre plus étroit, s’est fait, lui, le strict défenseur de la Constitution violée, le gardien intraitable et outré du temple institutionnel.
C’était en somme l’affrontement de deux légitimités.
Ce qui frappe, quand on compare la pensée des deux hommes, c’est la proximité de leurs idées politiques.
Victor Hugo a un parcours sinueux. Il a été monarchiste comme sa mère, bonapartiste comme son père – qui fut général de Napoléon Ier –, puis républicain conservateur, puis de plus en plus libéral, puis socialiste, puis révolutionnaire…
Un incessant glissement de la droite vers la gauche.
Quand il part pour l’exil, il est devenu le progressiste de combat dont il laissera l’image dans l’Histoire, avec ses engagements intangibles, l’abolition de la peine de mort, le rejet du pouvoir absolu, la liberté d’expression, la lutte contre la misère, l’éducation gratuite et obligatoire…
Louis-Napoléon, lui, est bonapartiste de nature, pourrait-on dire. S’il adhère aux principes juridiques et sociaux de la Révolution, il estime qu’ils doivent «être complétés par un pouvoir politique fort» – mais, dans le même temps, attentif au sort des humbles.
Dans son livre Extinction du paupérisme, publié en 1844 alors qu’il est détenu au fort de Ham, dans la Somme, pour avoir déjà tenté un coup d’Etat, le futur monarque se montre lui aussi «de gauche».
Certains historiens, plus tard, n’hésiteront pas à le qualifier d’«empereur socialiste », au sens du socialisme saint-simonien qui prône l’effacement de la lutte des classes et non pas, comme les marxistes, son exacerbation révolutionnaire.
Reste que Napoléon III ne s’est pas contenté d’écrire. Détenteur du pouvoir, il a agi pour les pauvres. On lui doit la reconnaissance du droit de grève en mai 1864, les premiers embryons de syndicats en 1868, les caisses de retraite, les assurances contre les accidents du travail, l’assistance judiciaire gratuite, le libre accès de filles à l’instruction publique, l’instauration des «fourneaux économiques», ces soupes populaires qui serviront jusqu’à 1 200 000 repas par an, sans oublier l’assainissement des villes, notamment Paris, où le choléra tuait encore 5 000 personnes en 1853, avant les grands travaux d’Haussmann.
Tout cela, se dit-on, aurait dû rapprocher le poète et l’empereur, concourir à leur réconciliation, entre hommes de bonne volonté. Il n’en a rien été. Hugo a gardé sa colère. Il n’a jamais cessé de vitupérer l’usurpateur du 2 décembre 1850, quoi que celui-ci fasse.
Géant de la littérature, Victor Hugo a été aussi un homme compliqué, centré sur lui-même, orgueilleux, En se confrontant au premier des Français, Hugo se hisse à sa hauteur d’une vanité extrême.
Le poète alors a-t-il été jaloux de l’empereur ?
Le personnage ne pouvait laisser le romancier indifférent : prince, conspirateur, aventurier, protecteur des arts et de l’industrie, grand séducteur de femmes, modernisateur de la France, général à la tête de ses troupes à Magenta, à Solférino…
Louis-Napoléon Bonaparte, si extraordinairement romantique, aurait pu être le héros d’un roman de Victor Hugo.
«L’entêtement de l’écrivain était peut-être pour lui une façon de se grandir, en se confrontant au premier des Français, il se hissait à sa hauteur et ne pouvait monter plus haut.»
Sources : GEO. PIERRE ANTILOGUS.
Pierre Milza : Napoléon III, éd. Perrin, 2006.
Eric Anceau. Napoleon III et Ils ont fait et défait le second empire.
Frédéric Mitterrand : Napoléon III et Victor Hugo : le duel.
Photo : Livre de Frédéric Mitterrand : Napoléon III et Victor Hugo : le duel.