CE QUE MITTERAND A LÉGUÉ À L'ÉCONOMIE FRANÇAISE.
Lors de la campagne présidentielle de 2007, des vieilles affiches du candidat Mitterrand en 1981 ont été collées dans Paris. REUTERS/Jacky Naegelen

Lors de la campagne présidentielle de 2007, des vieilles affiches du candidat Mitterrand en 1981 ont été collées dans Paris. REUTERS/Jacky Naegelen

10 mai 1981...

François Mitterrand était élu à l'Elysée. 

L'héritage laissé par le premier - et jusqu'à présent unique - président de gauche de la Ve République a récemment été décrié  à propos de la retraite à 60 ans.

Ce symbole appartient désormais au passé, la réforme des retraites votée en 2010 ayant repoussé ce curseur de deux ans.

Mais de nombreuses réformes économiques et sociales adoptées pendant les deux septennats de "Tonton" - surnom utilisé par les services de sécurité des voyages officiels - sont toujours en vigueur aujourd'hui. Quitte à susciter encore des débats.

Inventaire.

LA 5e SEMAINE DE CONGÉS PAYÉS.
L'arrivée au pouvoir d'une majorité socialo-communiste devait être couronnée de symboles: en 1936, le Front populaire instaura la semaine de travail de 40 heures et deux semaines de congés payés. 
En 1981, Mitterrand créa la cinquième semaine de congés payés et la semaine de 39 heures, intégralement compensée au niveau des salaires.
Le programme électoral du candidat PS prévoyait d'aller encore plus loin dans la réduction du temps travail, avec une semaine de... 35 heures.
L'hostilité du patronat et le tournant de la rigueur en 1982 enterra ce projet.
C'est Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry qui le déterrèrent en 1997.
Depuis 2000, la durée légale du travail hebdomadaire est de 35 heures.
Le RMI.

Les années Mitterrand resteront marquées par l'explosion du chômage et l'accroissement des inégalités sociales.

En 1988, Mitterrand est réélu.

Après deux années de cohabitation, la gauche retrouve le pouvoir.

Si le chômage a légèrement reflué, le nombre de chômeurs en fin de droits prend des proportions inquiétantes.

Un grand nombre d'entre eux se retrouvent sans ressources.

C'est pour répondre à cette urgence sociale que Michel Rocard crée le revenu minimum d'insertion.

La réforme sera votée en 1988 par l'Assemblée à la quasi-unanimité.

S'il n'a pas réduit la fracture sociale - c'est sur ce thème que Jacques Chirac a remporté la présidentielle de 1995, ce filet de sécurité pour les plus démunis aura permis à des milliers de Français de ne pas sombrer dans la déchéance.

Le seuil du million de bénéficiaires a été franchi en 1995.

Le RMI a été remplacé en juillet 2009 par le revenu de solidarité active (RSA), censé favoriser le retour à l'emploi.

Le RMI a en effet pêché par son manque d'accompagnement des bénéficiaires.

Le volet "insertion" prévu par la loi de 1988 n'a jamais été mis en place.

Aujourd'hui, près de 1,3 million de personnes touchent toujours le "RSA" socle, l'équivalent du RMI.  

L'ISF.

Elu sur un programme social de relance par la consommation, Mitterrand augmente massivement en 1981 les prestations sociales (allocations familiales, chômage, revalorisation du minimum vieillesse, du SMIC, etc.).

Pour faire face à cette hausse de la dépense publique, le gouvernement doit trouver de nouvelles recettes.

En 1982, il crée l'impôt sur les grandes fortunes (IGF).

Jacques Chirac le supprimera lors de la première cohabitation du quinquennat de Mitterrand, en 1987.

Mais la gauche persiste et signe.

Fraîchement réélu, en 1989, François Mitterrand le rétablit en 1989, sous l'appellation ISF, impôt de solidarité sur la fortune, car ses recettes sont gagées pour financer le RMI.

La droite, qui n'a jamais manqué une occasion de critiquer cet impôt, censé faire "fuir" les riches hors du pays, ne l'a jamais supprimé.

La preuve. Cette hypothèse avait été envisagée par Niclas Sarkozy dans le cadre de la réforme de la fiscalité du patrimoine.

Mais lâché par sa majorité, le chef de l'Etat a renoncé à le supprimer. 

L'ISF sera néamoins réformé en profondeur: 300 000 contribuables devraient prochainement en être exonérés.  

LA CSG.

La contribution sociale généralisée a été créée par Michel Rocard lors du second septennat de Mitterrand, en 1991, pour diversifier le financement de la protection sociale.

La CSG est assise sur l'ensemble des revenus (activité, placements, épargne) des personnes domiciliées en France ainsi que sur les revenus tirés des jeux.

Son taux est fixe et non progressif.

L'idée était que les allocations familiales qui ne bénéficient pas aux salariés ne soient pas financées par les seuls revenus du travail.

La création de la CSG a profondément modifié le système de financement de la Sécurité sociale.

La droite ne l'a jamais supprimée: son taux a même été augmenté.

Aujourd'hui, ses recettes sont largement supérieures à celles de l'impôt sur le revenu.  

LES LOIS AUROUX.

Il s'agit d'un ensemble de quatre lois modifiant profondément le droit du travail, votées en 1982.

Parmi les principales innovations qu'elles introduisaient, citons :

- l'encadrement du pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise,

- la création d'un droit d'expression des salariés,

- le financement du comité d'entreprise,

- l'obligation de négociations annuelles sur les salaires et l'organisation du travail ou encore la création du CHSCT.

Ces lois ont profondément modernisé le dialogue social et l'organisation du travail en entreprises.  

L'EURO.

Un an à peine après son arrivée au pouvoir, la gauche doit se rendre à l'évidence: la France est largement dépendante de l'économie mondiale, et plus particulièrement de son voisin allemand.

La dispendieuse politique de relance par la consommation mise en place en 1981 est totalement à contre-courant de la politique restrictive menée par Paul Volcker (directeur de la Fed de 1979 à 1987) aux Etats-Unis et par la Bundesbank outre-Rhin. Résultat : les prix flambent et minent la compétitivité des produits français à l'export.

Entre 1981 et 1983, le franc sera dévalué trois fois par rapport au mark.

S'opposent alors deux idéologies au sein du PS:

- la ligne Delors-Fabius, qui prône une adaptation à l'économie de marché, 

- la ligne Chevènement, qui plaide pour une fermeture de l'économie française et une sortie du contraignant système monétaire européen.

Mitterrand tranche: il choisit l'Europe et a désormais pour objectif un franc fort.

C'est le tournant de la rigueur avec comme priorité la lutte contre l'inflation.

Fin de l'indexation des salaires sur les prix.

De 13% en 1981, l'inflation décline à moins de 3% en 1986.

C'est grâce à cette politique de désinflation et du franc fort que la France a pu recoller à l'économie allemande et convaincre son puissant voisin de signer le Traité de Maastricht en 1992, socle fondateur de la zone euro.  

Le marché de la dette publique

Cette adaptation de la France à l'économie de marché se traduit par une libéralisation du marché des capitaux.

En 1985, Pierre Bérégovoy, alors ministre des Finances, crée trois instruments aux noms un peu barbares :

- les "obligations assimilables au Trésor" (OAT),

- les "bons du Trésor à taux fixe à intérêt précompté" (BTF),

- les "bons du Trésor à taux fixe à intérêt annuel" (BTAN).

En clair: des véhicules financiers correspondant à des obligations de l'Etat, destinés aux investisseurs institutionnels, notamment étrangers.

Une véritable révolution de la gestion de la dette publique.

Depuis le début, le succès des obligations de l'Etat français, notées "AAA", ne se dément pas.

A tel point que la dette de l'Etat vole de record en record.

encore, la France continue d'emprunter massivement sur les marchés : elle prévoit d'émettre pour 184 milliards d'euros de dette en 2011.  

L'audiovisuel privé.

TF1 peut dire merci à Mitterrand.

Si la chaîne de télévision du groupe Bouygues caracole aujourd'hui en tête des audiences du PAF et réalise de juteux bénéfices publicitaires, c'est grâce à la libéralisation de l'audiovisuel en 1984.

Cette réforme fait suite à l'autorisation des radios libres privées en 1981.

Mitterrand aura mis fin au monopole des médias publics.

Il aura aussi permis à la France, en obligeant les chaînes à contribuer au financement de la production cinématographique, de se doter d'une puissance industrielle culturelle et audiovisuelle.  

 

Article : Par Emilie Lévêque. L'Express.

 
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