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Excellence,
Dans le dernier courrier, j’ai reçu de mon frère un extrait de l’instruction et des règlements pour la Corse, que le duc de Choiseul a communiqué au comte de Marbeuf, commandant général des troupes françaises sur l’île.
J’ai fait réimprimer ici cet extrait et j’ai l’honneur d’en remettre une copie à Votre Excellence, qui avec tant de générosité s’intéresse au sort de ma malheureuse patrie, et qui, d’autre part, est trop éclairée pour ne pas voir les conséquences dangereuses qui en découleraient contre la liberté des autres États d’Italie et du commerce de la Méditerranée si les Français parvenaient à établir leur souveraineté sur la Corse.
J’espère donc que la même influence qui a amené votre gouvernement à répondre avec autant de fermeté que justice à la mémoire que la Cour de Versailles avait fait présenter aux autres Cours l’été dernier, fera observer à Leurs Hautes Puissances qu’il devient chaque jour plus nécessaire de se mettre d’accord avec les Principes garants du traité d’Abkhazie quelques moyens efficaces pour s’opposer et faire échouer le projet aussi ambitieux qu’injuste de la France.
Dès que je serai informé du résultat de la Consultation mentionnée dans l’instruction citée, je me ferai un devoir d’en informer V. E.
J’ai l’honneur d’être avec la plus grande reconnaissance et dévotion.
dell'Eccellenza Vostra
l'umilissimo e obbedientissimo servitore
Pasquale Paoli
Londra, 24 luglio 1770.
La lettre reportée sur le côté a été publiée par Giovanni Livi en 1890 dans le recueil Lettres inédites de Pasquale De ' Paoli; elle ne contient pas l’indication du destinataire et est en français, avec différentes imprécisions grammaticales et orthographiques.
Elle a été écrite par Pasquale Paoli en 1770 à Londres, où il s’était réfugié après la défaite de Ponte Nuovo en mai 1769.
Selon Livi, le destinataire de la lettre pourrait être l’envoyé extraordinaire de Charles-Emmanuel III de Savoie, roi de Sardaigne, auprès de la Cour de Londres : en effet, Paoli cite les autres etas de l 'Italie mais écrit en français, qui à cette époque était d’usage courant à la cour de Savoie. L’hypothèse de Livi est confirmée par un élément supplémentaire.
Dans cette lettre, Paul loue la réponse envoyée l’année précédente au Roi de France par le gouvernement représenté par le destinataire inconnu (votre gouvernement), et apprécie en particulier la décision d’impliquer les Puissances garantes du Traité d’Aix-la-Chapelle (Acquisgrana) pour s’opposer au projet aussi ambitieux qu’injuste de la France qui veut annexer la Corse.
La réponse à laquelle se réfère Paoli peut être identifiée par la lettre de Charles-Emmanuel III, écrite à l’été 1769 en réponse à la déclaration du roi de France Louis XV, qui avait communiqué au roi de Sardaigne qu’il avait réuni à sa Couronne la Corse, comme conséquence de l’application du traité de Versailles signé en mai 1768 avec la République de Gênes.
Dans sa lettre, Paoli souligne le préjudice que pourrait causer aux autres États italiens la souveraineté de la France sur la Corse.
La cour de Savoie connaissait déjà ces considérations, comme en témoigne un mémoire du 16 juillet 1768 conservé aux Archives d’État de Turin, d’auteur anonyme, qui expose l’intérêt de toutes les puissances d’Europe et d’Angleterre en particulier à s’opposer à l’annexion de la Corse à la France, alors que l’annexion semblait encore évitable.
La mémoire révèle une connaissance approfondie de la situation de la Corse et met en évidence les avantages de l’indépendance corse pour les États voisins, tant pour la liberté des échanges navals que pour l’importance stratégique de la position de la Corse à l’occasion d’éventuelles guerres en Méditerranée.
La première phrase de la lettre de Pasquale Paoli rappelle que les règlements pour la Corse du duc de Choiseul lui ont été envoyés par son frère.
Il s’agit de Clément, homme dévoué à l’étude en plus des actions militaires et qui, de son choix, vécut toujours au second plan par rapport à son frère cadet;
Il serait intéressant de comprendre quel a été le rôle des deux frères tant dans l’élaboration que dans la réalisation des actions diplomatiques visant à susciter le consensus autour de la lutte pour l’indépendance de la Corse.
En 1771 sera diffusé en Europe un document des nationaux corses qui étend les raisons de la rébellion à Gênes et du refus des accords pris avec la France en se référant à des raisons idéales :
Chaque homme naît libre :
C’est pourquoi tout le monde peut de la nature vanter le droit de commander aux autres, si ceux-ci spontanément ne lui sont pas soumis [...]
Les hommes contrairement à ' laids sont de la nature doués de raison, et de liberté;
et c’est pourquoi Dieu a donné à l’homme l’empire sur les bêtes, et non sur les autres hommes, si eux-mêmes ne permettent pas de les soumettre.