CE QUE L'HINDOUISME RECOUVRE.
CE QUE L'HINDOUISME RECOUVRE.

 

L’image de l’Inde indépendante associée à l’autorité de Gandhi cache l’oppression millénaire des castes inférieures, assurée au XXe siècle par l’invention de l’hindouisme.

 

L’image de l’Inde est celle d’un pays dont le peuple a obtenu son indépendance vis-à-vis de la puissance coloniale britannique grâce au « grand combat pour la liberté » mené sous l’égide du Parti du Congrès et l’autorité spirituelle de M. K. Gandhi.

Elle-même colporte et diffuse sa culture 

Constitutionnellement, l’Inde demeure une république fédérale, laïque et socialiste.

Les données officielles montrent par ailleurs qu’il s’agit d’un pays à majorité religieuse hindoue.

Les nationalistes hindous aujourd’hui au pouvoir entendent changer cette constitution laïque et proclamer l’Inde « nation hindoue ».

Bien des gens comprennent le mot « hindou » comme renvoyant à une religion ancienne.

 

Le terme « religion », auquel on attribue aujourd’hui plusieurs significations, est le fruit, d’une part, de la conception kantienne d’une religion universelle et, d’autre part, du besoin des missionnaires chrétiens de classifier les coutumes et les croyances autochtones observées au cours de l’époque coloniale.

 

C’est en réalité la plus récente des religions indiennes, puisqu’elle date du xxe siècle.

Que désigne ce terme « hindou » ?

Les Perses achéménides l’utilisaient, au vie  siècle av.  J.-C., pour désigner la région géographique bordant le fleuve Indus (aussi connu sous le nom de Sindhu), à savoir la région nord-ouest du sous-continent indien.

L’armée d’Alexandre le Grand aurait appelé cette région Indus, d’où dérive le nom moderne du sous-continent et du pays : India.

C’est à partir de la variante arabe, Al Hind, qui se référait également à la région géographique, que le terme « hindou » commença à désigner les populations non musulmanes et non chrétiennes vivant dans cette région et au-delà.

Au xixe siècle, les indianistes et les administrateurs coloniaux britanniques furent les premiers à utiliser le mot « hindou » en un sens élargi, mais relevant de la même logique, pour désigner les peuples de l’ensemble du sous-continent indien et, moins fréquemment, pour caractériser les coutumes des castes supérieures et, plus particulièrement, des brahmanes.

Quand et comment le terme « hindou », qui désignait une région où vivaient des groupes d’individus aux coutumes et manières de vivre différentes, est-il devenu le nom de la religion commune à un vaste ensemble de populations rassemblant, nominalement du moins, ces divers groupes ?

C’est justement là toute l’histoire de cette invention religieuse récente, destinée à perpétuer les anciennes hiérarchies sociales dans un environnement politique nouveau.

De l’ancienneté d’un ordre de castes oppressif.

La naissance de l’« hindouisme » ne peut être comprise que si, en étudiant cette période récente de l’histoire, on ne perd pas de vue le fait le plus flagrant et le plus constant de celle-ci, à savoir que l’ordre oppressif des castes a été, pendant des millénaires, le seul invariant du sous-continent indien.

L’ordre des castes est assuré par une stricte endogamie cérémonielle.

La notion de « pureté » du toucher et de la vue assure le maintien de la distance entre les castes :                                                                                  - des peines sévères ont été prescrites pour toute infraction dans ce domaine.

Aujourd’hui encore, tout comportement faisant encourir un risque de métissage est puni de mort.

Génération après génération, le système des castes suit ses propres règles afin de se perpétuer lui-même comme fin.

Autrement dit, ce système ne permet pas les échanges entre les moyens et les fins.

En d’autres termes encore, et comme l’enseigne la Bhagavad Gita, les fins et les moyens se résument pour chaque individu à l’accomplissement des devoirs inhérents à sa caste.

Nous avons ailleurs appelé « calypsologique » le principe général régissant ce type de systèmes.

Le fondement de l’ordre des castes a été décrit dès le Puruśasūkta dans le gveda (1000-800 av. J.-C.).

Il est donné, sous le nom de varnāśramadharma (position assignée en fonction de la couleur de la peau), pour l’essence même de l’ordre sociocosmique dans plusieurs textes brahmaniques, dont la Manusmṛti (200-400 av. J.-C.).

Il établit une société stratifiée selon la hiérarchie des « Varna » :              les trois classes supérieures sont celles :

- des brahmanes (la classe sacerdotale),

- celle des Kshatriya (la classe guerrière)

- et celle des Vaishya ou Baniya (la classe commerçante),

dont l’ensemble forme moins de 10 % de la population indienne ;

- en dessous d’elles, les Shudra (la classe laborieuse)

- et les Intouchables – qui, au xxe siècle, ont commencé à se donner le nom de Dalits (« opprimés »)

– l’ensemble de ces deux catégories formant plus de 90 % de la population indienne.

Le 15  mars 2018, le gouvernement indien a émis une directive interdisant l’utilisation du terme « Dalit » dans les médias.                                                               Cette auto-description est considérée comme menaçante car elle a permis une plus grande mobilisation politique des castes inférieures.

Pendant des millénaires, une muraille a séparé le monde minoritaire des castes supérieures et celui, très majoritaire, des castes inférieures.

Elle ne peut être franchie (et seulement de manière très limitée) que pour certaines transactions avantageuses aux castes supérieures :

- travail manuel des classes inférieures au service des classes supérieures ;

- transfert aux classes inférieures des excréments des castes supérieures.

 Il faut noter que le nettoyage manuel est une pratique quotidienne en Inde.          Selon une estimation basse, un Dalit meurt tous les cinq jours dans une fosse septique.

Cette muraille a imposé aux classes inférieures – et leur impose encore, à maints égards – une attitude de soumission qui les a maintenues en deçà du niveau des classes supérieures, aussi bien en termes de richesse et de pouvoir que d’accès au savoir, et qui pis est, leur a fait abdiquer leur propre dignité.

Les castes inférieures n’ont jamais eu le droit d’approcher des temples des castes supérieures – et cela n’a guère changé.

Les Dalits sont toujours tués s’ils pénètrent dans les temples des castes supérieures.

Aujourd’hui encore, leurs membres n’ont pas le droit de manger devant des individus appartenant aux castes supérieures.

Ils n’avaient pas même le droit d’entendre réciter ces mêmes « Vedas » qui leur assignaient leur position sociale inférieure :                    - le châtiment prévu par la Manusmṛti pour ceux qui néanmoins l’auraient fait, était de leur couler du plomb fondu dans les oreilles.

Les héros des épopées sanskrites montraient l’exemple :                            - ils punissaient de mort les Shudra qui avaient tenté de transgresser l’interdit mis sur le savoir.

Le monde des classes supérieures devait rester lettre close pour les Shudra comme pour les Intouchables.

La majorité réelle révélée.

Pendant des millénaires, la partie minoritaire de la population indienne composée des castes supérieures a contrôlé la majeure partie du territoire, le travail effectué par les castes inférieures, ainsi que le fonctionnement de toutes les institutions culturelles et bureaucratiques.

C’est seulement avec la mise en place par les Britanniques d’une administration coloniale que le caractère oppressif de l’ordre social fondé sur les castes et l’écart de population entre castes supérieures minoritaires et castes inférieures majoritaires sont devenus évidents.

Les fonctionnaires chargés des opérations de recensement lancées en 1872 arrivèrent rapidement à la conclusion qu’il y avait trop de religions et trop de castes en Inde.

L’identité religieuse des chrétiens, des musulmans, des sikhs, des bouddhistes et des parsis était facile à établir ;                                          - - - mais ils ne pouvaient, en revanche, classer ceux qui ne relevaient d’aucune de ces confessions sans que surgissent de grosses difficultés.

En effet, cette partie de la population était constituée de groupes qui suivaient diverses religions locales – ou, comme on les appelait,                « sectes » et « cultes » – telles que le shaktisme, le shivaïsme, le vaishnavisme, le lingayatisme, etc.

De plus, les personnes recensées recouraient souvent au même terme pour identifier tantôt leur religion, tantôt leur caste :

« Religion ? Brahmane », « Caste ? Brahmane. »

Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque la caste est un groupe socialement et rituellement endogamique et que la vie de ses membres, dans la plupart de ses aspects (pratique religieuse, rapports de parenté, statut de la propriété foncière, exercice des fonctions judiciaires, travail et relations avec les autres castes selon leur hiérarchie) est déterminée par leur observation des règles de caste.

En 1921, le Census of India Report note qu’«aucun Indien n’est familier avec le terme “hindou” appliqué à sa religion».

Dès 1911, pour tenter de déterminer si le terme pouvait être appliqué à une religion qui serait commune à tous ces groupes disparates, le commissaire au recensement, Edward Albert Gait, avait adressé aux officiers du recensement une liste de questions à poser.

La plupart de ces questions concernaient la séparation entre les castes.

Aux termes de la circulaire, par exemple, il convenait de demander à toutes les castes :                                                                                                    si elles avaient accès aux temples des castes supérieures ;                                                                                                                - si elles avaient accès à un officiant brahmane pour les cérémonies ponctuant leur vie, comme le mariage ;                                                           - ou encore, si elles connaissaient les divinités des classes supérieures.

Si l’on avait pu démontrer que les différentes castes partageaient, du moins occasionnellement, les mêmes sphères et activités culturelles, il y aurait eu lieu de créer une seule catégorie religieuse à même de toutes les englober.

Les réponses obtenues montrèrent que, à l’évidence, il n’en était rien et que, par ailleurs, les castes supérieures ne représentaient qu’une petite minorité de la population du sous-continent.

Ces mêmes classes supérieures ne tardèrent pas à comprendre le danger auquel les exposait la circulaire et, par leurs protestations, obtinrent son retrait.

Mais s’attendant à voir surgir désormais d’autres questionnaires du même genre, leurs dirigeants entreprirent de créer de toutes pièces des coutumes et des pratiques susceptibles, à l’avenir, de répondre aux critères de Gait, notamment par des programmes d’accès aux temples pour les castes inférieures, qui furent – et sont toujours – désignés par un euphémisme comme des « réformes sociales ».

Bien entendu – et tel était l’objectif –, ces changements                               « cosmétiques » ne modifiaient en rien les conditions réelles d’existence des classes inférieures, que ce fût en matière de propriété foncière ou de pouvoir politique.

C’est ainsi que les points d’achoppement de la « circulaire Gait » devinrent les fondements de la nouvelle région « hindoue ».

Les opérations ultérieures de recensement du Raj, en particulier celles des années  1921 et  1931, rendirent plus évidente encore la différence démographique entre les castes supérieures et les castes inférieures.

Comme on put le constater, même la minorité religieuse musulmane était plus nombreuse que les castes supérieures.

Tout cela serait resté sans conséquence, n’eussent été les dispositions juridiques et électorales modernes prises par le Raj ;                                - à savoir le Caste Disabilities Removal Act du milieu du xixe siècle, qui rendait illégales certaines discriminations frappant les basses classes comme l’interdiction d’hériter ;                                                                           - la dévolution croissante de l’autorité gouvernementale à des élus indiens entre  1919 e t 1935 ;                                                                                - - ainsi que la constitution d’électorats séparés pour les castes inférieures.

Pour la première fois depuis des millénaires, sous les effets conjugués de l’introduction de ces réformes par le pouvoir colonial, des conversions religieuses, de pratiques électorales démocratiques modernes et des lois passées au début du xxe siècle punissant les pratiques discriminatoires fondées sur l’ordre des castes, les castes inférieures purent apparaître au grand jour comme parlant au nom de l’intérêt général, et revendiquer pour elles-mêmes liberté et égalité de droits.

Les libertés qu’elles revendiquaient n’avaient rien de spectaculaire :        -  il s’agissait de droits du quotidien comme le droit de marcher dans les mêmes rues que tout un chacun,                                                                  -  le droit d’utiliser l’eau potable du village,                                                      - le droit à l’éducation,                                                                                                - le droit à un salaire pour tout travail effectué.

Ces droits sont pourtant, aujourd’hui encore, refusés à une majeure partie de la population.

Les réformes de l’administration coloniale se heurtèrent à la farouche hostilité des castes supérieures, lesquelles luttaient alors pour le             « transfert du pouvoir » sous la direction de cette coalition d’intérêts qu’était le Parti du Congrès.

Il était à prévoir en effet que la hiérarchie sociale des castes ne parviendrait pas à survivre dans une démocratie constitutionnelle fondée sur des principes d’égalité politique, matérielle et sociale.

Sous l’impulsion du Parti du Congrès, les dirigeants des castes supérieures, y compris Gandhi, suscitèrent des mouvements hostiles à ces réformes.

Toutefois, il leur fallait aussi faire face à une agitation croissante au sein des classes inférieures :                                                                              - en 1924, dans le Kerala, les castes inférieures menèrent campagne pour obtenir le droit de parcourir toutes les rues, y compris celles passant devant ces temples qu’ils étaient censés « polluer » ;                           et, en 1927, à Mahad (dans l’État du Maharashtra), Bhimrao Ramji Ambedkar mena la révolte de milliers de Dalits qui réclamaient le droit de boire l’eau du réservoir public :                       - - --- lorsque les castes supérieures s’y opposèrent par la force, la Haute Cour de Bombay, contrainte d’intervenir, rendit son arrêt en faveur des castes inférieures.

De la fabrication d’une fausse majorité.

L’apogée de la confrontation entre les castes supérieures et les castes inférieures eut lieu entre  1930 et  1932, lorsque furent organisées, par le gouvernement britannique, trois conférences consacrées aux réformes constitutionnelles.

Dès la première, B. R. Ambedkar réclama la mise en place d’électorats séparés pour les castes inférieures.

Comme l’on pouvait s’y attendre, le Parti du Congrès quitta la réunion en signe de protestation.

Et en effet, une telle séparation des électorats aurait changé la face politique du continent :                                                                                     - - pour la première fois, les classes inférieures auraient acquis un pouvoir politique par le jeu de la représentation démocratique ;              - et il serait devenu patent que les castes supérieures ne représentaient qu’une petite minorité de la population.

Le Parti du Congrès et Gandhi s’opposèrent donc obstinément à cette demande des castes inférieures.

Dans une lettre adressée en 1932 au Premier ministre britannique Ramsay MacDonald, dans le but de signifier son opposition personnelle à l’introduction d’électorats séparés pour les castes inférieures, Gandhi écrivait : 

« Je perçois l’injection d’un poison destiné à détruire l’hindouisme.» 

Par « hindouisme », Gandhi désignait le règne des castes supérieures sur les castes inférieures.

Dans une déclaration faite à la presse cette même année 1932, il reconnaissait qu’il ne pouvait pas vraiment dire en fonction de quels critères religieux les Intouchables devraient être maintenus dans le giron de l’« hindouisme », mais il ajoutait :

 «Il y a dans l’“hindouisme” quelque chose de subtil –d’assez indéfinissable– qui les y maintient [ces personnes de caste inférieure] malgré elles.» 

L’horreur de ce «quelque chose de subtil» qui rabat les castes inférieures sur «l’hindouisme», «malgré elles», est frappante.

C’est ce même «quelque chose de subtil» qui soumit, «malgré eux», les esclaves africains d’Amérique à l’esclavage, ainsi que les juifs de l’Allemagne nazie aux lois de Nuremberg.

Face aux demandes insistantes des castes inférieures, Gandhi menaça de pousser ce qu’il appelait le Satyagraha jusqu’à la mort, recourant ainsi contre la partie la plus faible de la société indienne à un chantage qui lui était coutumier.

« Attachement ferme à la vérité », qui s’apparente ici à ce que Michel Foucault a appelé « le courage de la vérité ».

Craignant les répercussions d’un tel geste, Ambedkar et les castes inférieures furent contraints de céder.

Cette reddition face à Gandhi et aux classes supérieures enterra la possibilité d’une libération pour la majorité de la population du sous-continent.

À partir du début du xxe siècle, les dirigeants des castes supérieures se sont donc consacrés à créer, sous la forme d’une catégorie religieuse, une majorité dont ils pourraient ensuite se dire les représentants au nom d’une double autorité, scripturale et traditionnelle.

Le terme « hindou » servait ce dessein.

Restait, pour Gandhi et les autres dirigeants issus des castes supérieures comme Lala Lajpat Rai, à convaincre les brahmanes d’accepter un mot qui leur répugnait en raison de son origine arabe et de sa sonorité mleccha, c’est-à-dire étrangère ou impure.

Quant aux membres des castes inférieures qui militaient pour le droit de marcher dans le voisinage des temples, sans s’intéresser outre mesure à ceux-ci, il fallait maintenant qu’ils y entrent et qu’ils embrassent la nouvelle religion.

Dans l’État du Kerala, par exemple, le mouvement d’admission dans les temples fut présenté comme une réforme généreuse (et condescendante) octroyée par les castes supérieures aux castes inférieures…

La religion hindoue, en gestation dans l’esprit des Britanniques et des membres des castes supérieures, est née, au début du xxe siècle, pour conjurer le danger que présentait la supériorité numérique des castes inférieures.

La religion hindoue était en gestation dans l’esprit des Britanniques et des membres des castes supérieures depuis la fin du xixe siècle ;             -  elle est née, au début du xxe siècle, pour conjurer le danger que présentait, pour le Reich bimillénaire des castes supérieures, la supériorité numérique des castes inférieures.

Et ce n’est que plusieurs années après l’indépendance que la majorité des « hindous » découvrirent tout à la fois leur propre appartenance à cette religion – et ce qu’avec elle ils avaient perdu.

Un faux problème politique.

La fabrication d’une fausse majorité religieuse a introduit dans la politique indienne un faux problème.

La condition première du détournement de l’attention publique était la mise en place d’une opposition démographique entre la nouvelle identité « hindoue » et l’islam, avec pour résultat la partition de l’Inde.

Le discours politique dominant en Inde s’est imprégné d’une représentation du Pakistan comme ennemi extérieur et des musulmans de l’Inde comme ennemis intérieurs.

Depuis 1947, les sphères politiques, culturelles, ainsi que les pratiques intellectuelles et universitaires s’en font les relais.

La plupart des universitaires et ce qui passe, en Inde, pour être la            « gauche » ont élaboré et répandu la notion d’un « sécularisme indien » qui porte exclusivement sur la bonne entente religieuse entre l’hindouisme et l’islam.

Ils supplient la prétendue « majorité hindoue » de ne pas se conduire trop « majoritairement », et tentent de rappeler cette entité fictive à un aimable passé non moins fictif dans lequel « les Hindous » étaient non violents.

C’est jouer une version édulcorée (Hindu Lite) contre la réalité de la droite hindoue (Hindu Right).

Les paradigmes les plus présents dans la recherche universitaire indienne sont en parfaite continuité avec la politique de l’hindouisme.

Le programme de réécriture de l’histoire de la « théorie postcoloniale » consiste à traquer les survivances du passé colonial et, en même temps, à exhumer les éléments « indigènes » du passé perdu des castes supérieures.

Les subaltern studies, elles, se penchent sur le supposé échec du système juridique moderne à prendre en compte les obligations de caste des Savarna (castes supérieures).

On connaît l’exemple, rendu classique par Spivak, de la subalterne-sans-voix :                                                                                                              - cette femme brahmane qui doit attendre ses règles avant de se suicider, pour épargner à sa famille les commérages déshonorants sur une grossesse hors mariage…

Mais l’Inde majoritaire, celle des Dalits et des castes inférieures, dès le milieu du xixe siècle, a rejeté et condamné ces traditions « indigènes », védiques et brahmaniques, au nom de l’émancipation, de l’égalité, des valeurs constitutionnelles, des droits humains, de la science, de l’éducation anglaise et moderne.

Les castes inférieures ont substitué aux valeurs de leurs oppresseurs ces valeurs dites « européocentriques » – scientifiques et rationnelles.

Aussi n’ont-elles pas – et pour cause ! – le bon profil « subalterne », tel qu’il est tracé par les subaltern studies, dont la littérature n’aborde presque jamais la question de l’oppression des castes.

Les études « postcoloniales » et « subalternes » escamotent les vrais problèmes de la vraie majorité ;                                                                - et pourtant, depuis trois décennies, ce sont elles et leurs paradigmes qui font autorité s’agissant de l’« Asie du Sud », que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie… ou en Inde.

En ce sens, la communauté savante internationale a involontairement participé au système d’oppression de la majorité de la population indienne par l’ordre des castes :                                                                             - pour reprendre les catégories de Spivak, les castes supérieures seront ainsi parvenues à manipuler aussi bien la Darstellung que la Vertretung.

À partir de 1931, l’État indien s’est refusé à rendre publiques les données sur la composition des castes, pour éviter d’étaler au grand jour la faiblesse numérique des castes supérieures.

Depuis, les protestations et le combat pour leur publicité n’ont pas cessé.

D’après les données gouvernementales disponibles, «si les chiffres de l’OBC représentent environ 60% de la population totale et celles de la SC/ST environ 30% (seuls chiffres connus), alors les castes supérieures ne peuvent représenter que 10% de la population».

En 2011, sous la pression des partis politiques des castes inférieures, un recensement fut effectué, mais le gouvernement actuel refuse d’en publier les résultats.

Pendant ce temps, l’intouchabilité persiste dans toute l’Inde ;   71 % des agriculteurs dalits sont sans terre ;                                                    65 % du total des crimes sont commis contre les Dalits ;                               on trouve moins de 9 % des personnes issues des classes inférieures dans les médias nationaux ;                                                                               les Dalits et les membres des populations tribales représentent moins de 9 % du corps professoral dans les différents établissements des prestigieux Indian Institute of Technology et Indian Institute of Management.

Il n’y a pratiquement aucun membre des castes inférieures dans le gouvernement central actuel, ni dans les gouvernements provinciaux.

Les castes supérieures minoritaires continuent de diriger la majorité constituée par les castes inférieures grâce à sa mainmise sur la machine étatique, le pouvoir judiciaire et la police.

Tout est fait pour que les voix, les appels à l’aide, les aspirations politiques et les inventions théoriques des classes inférieures ne trouvent aucun écho dans les médias nationaux – à l’exception notable du Caravan Magazine.

Les castes supérieures et les castes inférieures ont des attitudes opposées au sujet de l’époque coloniale, de la langue anglaise, de                l’« européocentrisme », des sciences et de la modernité.

Rejeté par les castes supérieures au nom de la théorie postcoloniale, cet ensemble de valeurs modernes est au contraire considéré par les castes inférieures comme susceptible de remplacer les vieilles valeurs oppressives du dharma et du karma.

L’« hindouisation » ou « safranisation » agressive qui a lieu aujourd’hui dans les institutions universitaires indiennes et certains départements d’études indiennes en Occident travaille à détourner les castes inférieures de l’avenir « autre » auquel les concepts                        « européocentriques » leur ouvraient l’accès.

Les universitaires de « gauche » promeuvent l’éducation en hindi et dans les langues vernaculaires pour exclure les castes inférieures de toute forme d’éducation anglaise ou occidentale.

Cette posture postcolonialiste est d’autant plus hypocrite que la plupart de ces mêmes universitaires et des politiciens envoient leurs propres enfants dans des écoles privées et des universités occidentales qui leur prodiguent ladite éducation occidentale.

Cependant, la majorité a ouvert les yeux sur le « faux problème » et les pièges qu’il dissimule.

Ses protestations n’ont jamais cessé depuis le milieu du xixe siècle, relayées par Jyotirao Phule, Periyar et B. R. Ambedkar.

Elles s’intensifient.

Le couple Hindu Right/Hindu Lite vit ses derniers jours.

Traduit par Benedetta Todaro et Angel Delrez.

Source : esprit.presse.

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