LE CHÂTEAU ET L'HABITAT DISPERSÉ.

 LE CHÂTEAU ET L'HABITAT DISPERSÉ.

Dans la majorité des cas, la forteresse médiévale est en Corse un édifice isolé.

Mais les découvertes autour du château de Corvo, dans le sud de l’île, incitent à la prudence.

Seule la fouille, au-delà des observations de surface et de la consultation des textes, a pu ici déterminer la présence de structures d’habitat très modestes.

De même, les photographies aériennes prises à haute altitude révèlent des anomalies à proximité de certains sites, qui pourraient trahir la présence de villages entièrement enfouis, comme peut-être à San Colombano de Giussani.

Les exemples de fortifications isolées, ou qui apparaissent aujourd’hui comme telles, sont particulièrement nombreux.

Nous prendrons l’exemple des châteaux du Cap Corse car ce sont eux qui illustrent le mieux cette situation, dans la mesure où forteresses et habitats sont documentés par des textes à peu près contemporains.

Ainsi, le recensement de la seigneurie de Mari en 1286 nous donne une idée très précise de la répartition de ces ca- sale, souvent modestes.

Les termes casamento et curtis disparaissent, dès les premières années du XIIIsiècle, au profit du terme casale.

Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple bien documenté, la curtis de Teleno, mentionnée à plusieurs reprises durant la première moitié du XIIsiècle est qualifiée de casale en 1370

Le château de San Colombano de Rogliano apparaît dans la documentation écrite au milieu du XIIIsiècle.

Aucun village, aucun vestige de maison n’est visible sur les pentes de la butte sur laquelle il est perché.

En revanche, on ne compte pas moins de sept habitats dans un rayon de moins d’un kilomètre autour de la forteresse, mentionnés pour certains dès le début du XIIsiècle.

Les hameaux les plus proches ne sont situés qu’à environ 200 m.

Il s’agit toujours de petites unités qui comptent rarement plus de dix feux et qui s’inscrivent dans un schéma d’organisation de l’espace dont la mise en place est difficilement datable.

La situation autour des castelli d’Oveglia ou encore de Motti puis de Poggi Luri, est comparable, avec des habitats situés un peu plus loin du château mais toujours en vue de celui-ci (fig. 8).

Vers le milieu du XIVsiècle, la situation n’a pas évolué.

Aucun habitat ne s’est déplacé et aucun bourg ne s’est créé autour des fortifications.

Bien que beaucoup de ces châteaux soient utilisés jusqu’au milieu du XVIsiècle, l’habitat restera figé et aucun déplacement n’est à signaler.

En revanche, un nouveau château est apparu.

La villa de Luri, constituée de près de vingt lieux habités, était à l’origine contrôlée par la forteresse de Motti, perchée en haut de la vallée.

Mais le grand nombre de hameaux et surtout l’éloignement de certains d’entre eux, ont entraîné la construction d’une autre fortification au fond de la vallée, sur un éperon déjà occupé par quelques maisons dont elle reprend le toponyme : Poggi Luri.

La fortification est ici construite au cœur du réseau d’habitats dispersés, sans dé- placement de la population. Mais il s’agit là d’une situation particulière et exceptionnelle.

Des castra isolés sont aujourd’hui documentés dans tout le nord de la Corse et l’importance politique du château ne semble avoir aucune incidence sur ce phénomène.

Ainsi, le château de Sant’Angelo de Balagne, celui de Verde ou encore de Petrelerata, n’ont pas davantage constitué des pôles d’attraction pour l’habitat.

Désormais, celui-ci va pourtant apparaître dans un cadre territorial mieux structuré, doté d’un véritable finage connu sous le nom de villa.

Le terme villa apparaît au début du XIIIsiècle, mais ne devient commun qu’après les années 1250.

 

Plus exactement le terme villa est mentionné une seule fois avant cette date, le 30 avril 780 : casa una massaritia in Corsica, in Villa Germana Nannipieri, Carte dell’Archivio di Stato di Pisa.

Étrangement, dans le même document la villa est qualifiée de curtis.

La terme disparaît ensuite jusqu’au XIIIsiècle si l’on fait exception de la donation d’Adalberto II à l’abbaye de Fruttuaria en 1021, car nous avons toutes les raisons de douter de l’existence même de ce document.

La villa est alors l’élément de base de la division territoriale et du prélèvement seigneurial, dont les limites cor- respondent aux grandes entités géographiques : les vallées.

Il existe une coïncidence, au moins territoriale, entre ces villae et les paroisses qui, elles aussi, apparaissent dans la documentation écrite dans le courant du XIIIsiècle.

C’est au niveau de cette entité structurale que s’applique en premier lieu l’autorité du seigneur.

Chaque castrum chef-lieu de châtellenie en possède une ou plusieurs dans ses dépendances.

Le serment de fidélité des seigneurs Bagnaia illustre bien ce système.

Chacun des six châteaux est donné cum suis villis et pertinentis.

Dans l’acte de vente des châteaux du Cap Corse, le notaire a utilisé une formule équivalente mais plus précise encore : ... et villas omnes positas infra confines dictorum castrorum... 

Enfin, un partage de la seigneurie de Mari en 1333 mentionne, sous forme de liste, chacune des villae appartenant aux châteaux : castrum Sancti Colombani, villam Oregliani, villam Merie... (fig. 3).

Le territoire de la villa peut être relativement vaste mais apparaît toujours délimité avec précision, c’est le circulo.

L’exemple des villae de Venzolasca et de Pregnano, in tutto il suo circulo come è circondato da ogni sua parte, offertes à l’abbaye de Montecristo en 1260 est particulièrement significatif;

il s’agit de deux domaines limitrophes de 12 à 20 km2, bien distincts et bien délimités.

 

«La villa tutta della Vensolasca ... termminato da ogni parte dallo poggio di San Martino alla Sar- dulaccia e mette in fine del Molinello e mette in Fiume Alto e mette con le terre Previguiatiche e mette alla topolacia e mette per Gargale a Santa Maria di Pietra Carbaia ed ivi sono altri termini e mette allo Poggio alli Aucelli.

Item... la villa di Priguiano e tutto il Preguitico con case, vigne... in tutto il suo circulo come è circondato da ogni sua parte e mette alla Vestolida e mette a Sant’Agostino e scende alla Capolaccio e mette in fiume dell’Olmo e mette in mare, da l’altro lato lo Gargale e Sanavj a Figarette e mette a mare».

Il est d’autre part assez surprenant de constater, dans le Cap Corse surtout, que les divisions territoriales médiévales semblent correspondre aux limites actuelles des communes qui ont d’ailleurs conservé le nom et la structure générale des entités précédentes.

C’est notamment le cas des communes de Rogliano, Luri, Pino, Meria, Ersa, Centuri...

La villa n’est probablement pas une création du XIIIsiècle mais simplement le fruit d’une évolution du vocabulaire et d’une transformation juridique.

Remarquons, tout d’abord, que bien avant d’être désignées comme villa, plusieurs localités sont connues par leur toponyme (tableau 1).

Quelques exemples sont par ailleurs révélateurs d’une évolution.

Vers 1210, des biens sont sis in loco dicto de Meria alors qu’une parcelle dite il Zoccarello est située dans la iurisdictionis de Meria, signe que ce locus possède déjà une personnalité juridique.

Ce n’est pourtant qu’en 1286, dans l’inventaire de la seigneurie de Mari, que Meria est clairement désignée villa.

De même, le podere de Cardeto, dans le Nebbio, est localisé en 1257 (quand il apparaît pour la première fois) et en 1280, in dictu episcopatu et in loco dicto Cardecto.

En 1342 il est posto in la villa de Cardeto.

La villa du XIIIou XIVsiècle semble être l’héritière du locus et finis des siècles antérieurs.

Mais, ce passage de l’un à l’autre ne se fait pas simultanément dans toute l’île.

Le château a peut-être un rôle déterminant dans ce processus.

Dans le Cap, les territoires et les habitats qui y sont localisés ont été très tôt absorbés et contrôlés par les châtellenies.

Il en est probablement de même en Tavagna.

En revanche, aussi bien dans le Nebbio qu’en Balagne il s’agit de domaines qui sont sous l’influence de curtes ecclésiastiques qui n’ont jamais possédé de fortifications.

Il est donc possible que le terme se diffuse lentement à partir du XIIIsiècle et d’abord dans les espaces soumis aux châteaux, avant de se généraliser dans le courant du XIVesiècle.

Au XVe, le terme est systématiquement utilisé.

À l’intérieur de cette circonscription, l’habitat est organisé en petits groupes de maisons, probablement non fortifiées, qui ne sont autre que les unités d’exploitation que nous avons entrevues à la fin du XIet au XIIsiècle, mais dont le statut semble s’uniformiser.

Désormais, tous vont être qualifiés de casa ou casale dont les occupants se transforment en tenanciers qui versent annuellement une redevance au seigneur châtelain, comme le montre l’inventaire de la seigneurie de Mari de 1286.

Le nombre et l’importance de ces habitats peuvent varier considérablement.

Certaines villae sont seulement constituées de un ou deux hameaux, comme Pregnano et Venzolasca, alors que d’autres en comptent cinq voire six, parfois vingt.

Cette image de la villa des XIIIe-XIVsiècles contraste avec celle que donnent les textes des XVet XVIdans lesquels ce terme désigne le plus souvent une unique agglomération de taille relativement importante.

Pourtant, à y regarder de plus près, ces derniers documents maintiennent une certaine confusion.

Ainsi, vers 1520, Mgr Giustiniani décrit des «villae distinte in piu casali».

Mais l’évêque, dans le même texte, qualifie Patrimonio «de villa distinta etiam in più vilette» alors que pour le Cap Corse, il décrivait «la villa de Pino» constituée de plusieurs «ville»

Cependant le territoire castral n’englobe pas la totalité des casalia;

ceux qui dépendent des seigneuries ecclésiastiques restent, en général, à l’écart de cet encellulement.

 

DANIEL ISTRIA

Source : persee.fr

Tableau 1

Tableau 1

Figure 8

Figure 8

Figure 3

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