Portait de Pascal Paoli, gravure de  William Daniell, d'après un dessin de  George Dance.  Il s'agit probablement du dernier portrait de Paoli , qui le montre sombre et mélancolique.  National portrait gallery

Portait de Pascal Paoli, gravure de William Daniell, d'après un dessin de George Dance. Il s'agit probablement du dernier portrait de Paoli , qui le montre sombre et mélancolique. National portrait gallery

PAOLI ET L'ÉTAT NATION : LE CONTEXTE EN MÉDITERRANÉE.

 

" la première révolution contre l’Ancien Régime ".

 

 

Selon l’historien italien Franco Venturi, les événements qui se déroulent en Corse de 1755 à 1769 expriment " la première révolution contre l’Ancien Régime " ; ils ouvrent donc ce qu’il définit comme la première crise de l’Ancien Régime qui se développe de 1768 à 1776, un peu partout dans le monde.

Ce jugement tend à confirmer et l’idée déjà avancée du modernisme de la tentative, et la validité des structures élaborées en vue de supplanter le pouvoir génois ; il confère également à l’entreprise insulaire un statu privilégié puisqu’on se doit de le rappeler, la Corse ne détenait pas à cette époque le privilège de la révolte et que, nombreux furent en Europe les espaces désireux de changer de cadre politique mais qui ne parvinrent pas à passer de la phase de la révolte à celle de la révolution, ou du stade de projet à celui de réalisation.

Incontestablement, la seule réussite totale que le temps confirmera comme définitive demeure celle des Etats Unis à partir de 1776.

Bien que les Etats Unis et la Corse soient aux antipodes pour ce qui concerne l’étendue de leurs territoires ou l’origine culturelle de leurs populations, les deux cas méritent d’être comparés, en ce sens qu’ils se signalent par le réveil d’une minorité lasse de son sort de périphérie par rapport à un centre qui ne l’apprécie jamais dans ses dimensions : politiques, économiques, ou humaines.

D’autre part, on peut avancer sans risque d’erreur que la réussite de l’indépendance américaine doit beaucoup à l’éloignement géographique de ses protagonistes.

Les moyens de communication, les systèmes de diffusion n’étaient en rien comparables aux nôtres aussi le moindre déplacement sur une longue distance entraînait une perte de temps plus que substantielle et la maîtrise de moyens logistiques importants.

Ce constat rappelle le poids de la géographie dans les grands moments de l’histoire ; il nous incite à penser que contrairement aux Etats Unis la situation géographique de la Corse, en plein cadre européen fut un handicap dès l’instant où de grandes puissances envisagèrent d’en utiliser le site.

 

Pour la France, la perte de lointaines possessions situées sur le continent américain incite sa diplomatie à envisager sur ses frontières européennes avec la volonté de les délimiter clairement.

C’est le moment où se dessine l’hexagone avec l’adjonction de certaines marges, sorte de correction des frontières.

Notons-le, la puissance maritime de la France n’est en rien affaiblie, la défense de ses côtés et des alliés demeure un souci quotidien face à de toujours possible velléités anglaises.

La Grande Bretagne, en effet, partage avec la France les responsabilités de grande puissance et la compétition entre les deux puissances en période de paix, n’est pas un vain mot.

Précisément à la fin des années 1760, un nouvel élément intervint pour rendre encore un peu plus flou le contexte général méditerranéen : l’affirmation d’un projet russe, élaboré par Catherine II et destiné à réduire la prédominance ottomane dans le Levant et par là-même à affaiblir ou déranger l’influence de la France, alliée de LA PORTE.

Dès lors, on comprend que l’intrusion russe ne pouvait qu’inciter l’ensemble des Etats concernés à s’assurer un certain nombre de points de chute, d’approvisionnement ou de contrôles sûrs.

A partir de cette perspective, nous sommes mieux en mesure de saisir certaines causes externes du succès de Paoli en même temps que des explications à son échec.

La situation de la Corse en Méditerranée n’étant pas idéale (même pour la France qui n’en disposait pas encore) car située au Nord d’une route des Iles reliant les Baléares à la Crête (donc la Grèce ou la Turquie et la mer Noire) via la Sardaigne et la Sicile.

On peut donc voir dans la tentative de Paoli parfois présentée comme une course contre la montre, une occasion unique à un moment où les priorités des grandes puissances s’orientaient sur des pôles plus sensible, peut-être essentiellement continentaux.

Les grandes puissances ne dédaignèrent jamais totalement la Corse, comme l’attestent les correspondances diplomatiques françaises qui couvrent la période 1740-1769.

Ces documents démontrent l’intérêt porté par la France à l’égard de l’Ile.

Aux études détaillées évaluant les ressources de la Corse, sur le plan économique, commercial ou humain s’ajoutent l’analyse du caractère, du comportement des habitants, la recherche d’infrastructures militaires.

En bref, la France jugeait cet espace comme une zone digne d’attentions.

En 1764, un " mémoire sur l’attaque et la défense de l’Isle de Corse relatif à la carte géographique " la présente comme : " un point dont une puissance ennemie pourrait se servir pour masquer les ports de Toulon et de Marseille et fermer entièrement du côté de la mer les Etats d’Italie ".

Il semble donc que la préoccupation française se soit plutôt adaptée à une approche défensive, et il nous paraît intéressant de révéler la concordance, sans doute fortuite, entre le début des opérations lancées contre les Turcs par Catherine II de Russie et l’acquisition suivie de la conquête de la Corse par la France.

Ainsi l’échec de Paoli s’expliquerait également par les perturbations nées d’interventions qui lui étaient totalement étrangères.

Cependant celles-ci devaient le concerner au plus haut point de manière indirecte.

Le rééquilibrage des forces en Méditerranée semble activer les déterminations, il fallait donc impérativement s’assurer des bases sûres ; la Corse présente l’avantage, pour une France qui achève son découpage frontalier de réunir les caractères de l’avant poste à ceux de l’insularité, donc de la rupture territoriale, permettant aussi bien des schémas de repli, d’attaque ou de fuite sans grands risques pour une métropole.

Ces conditions essentiellement politiques contenaient les raisons d’un impossible aménagement avec Paoli dont les correspondances avec Choiseul avait montré l’intransigeance quant à la souveraineté corse.

Le meilleur garant de la fidélité de l’Ile à la France ne pouvait qu’être alors qu’un gouverneur français et non plus des hommes d’Etat Corses marqués par leur goût et leur expérience de l’indépendance.

Ainsi cette rapide présentation de divers éléments coïncidant peu ou prou avec l’Indépendance Corse certes nous amène à mieux percevoir l’originalité du projet de Paoli, un des rares à avoir fonctionné, mais elle doit nous faire clairement saisir comment, l’une des causes de l’échec paoliste résides dans les termes d’une redistribution du jeu politique mondial.

Dans une Méditerranée très marquée par des impératifs stratégiques, les formes de développement d’un mouvement de libération nationale trouvaient assurément un bon terrain d’exacerbation, donc d’expression révolutionnaire ; le découpage politique de l’époque, le temps court mais aussi la formation intellectuelle des hommes n’étaient sans doute pas encore adaptés à l’essor d’une telle revendication.

D’autant plus que l’on en peut nier l’existence de courants locaux hostiles au projet insulaire dans sa dimension communautaire, nationale, et lui préférant sans doute une interprétation plus égoïste.

L’exemple laissé par Paoli, devrait donc en premier lieu susciter une interrogation sur le particularisme méditerranéen, carrefour de création politique mais également passionnelle ou inconstante devant toujours s’employer à surmonter ses contradictions compte tenu de comportements qui ne prennent pas forcément naissance sur ses rives.

Ce que résument ces lignes de Fernand Braudel concernant la Méditerranée : 

" Des routes, encore des routes, c’est-à-dire tout un système de circulation.

C’est par ce système que s’achève à nos yeux la compréhension de la Méditerranée, laquelle est dans toute la force du terme, un espace-mouvement.

A ce que l’espace proche, ou terrestre ou marin, lui apporte et qui est la base de sa vie quotidienne, le mouvement ajoute ses dons ".

L’exemple de l’Etat-national corse entre 1755 et 1769, nous semble parfaitement s’accorder à ce commentaire, en effet, il révèle la volonté d’un peuple soucieux de forger son histoire, en un temps où le monde subit de fortes secousses dont les répercussions ébranlent aussi bien tous ceux qui pensaient avoir pour leurs problèmes découvert la solution.

 

Source : adecec.

 Une conférence faite à Cervioni le 5 avril 1986
par Jean-Baptiste MARCHINI

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