CORDONNIER : UN MÉTIER EN VOIE DE DISPARITION.

CORDONNIER : UN MÉTIER EN VOIE DE DISPARITION.

Il y a des jours où on a l’impression de commettre des gestes d’un autre temps.

Dans un monde qui promet les canicules, les tornades, les inondations, la fonte des glaciers, l’étendue du désert, la disparition des abeilles, les vagues de réfugiés climatiques qui marcheront par centaines de milliers, nous vivrons bien jeunes des dernières fois.

Il y a quelques jours, je suis allée faire réparer mes chaussures.

Je ne suis pas fétichiste.

Mais il est certains objets qui deviennent des compagnons de route.

Ces chaussures m’accompagnent depuis 19 ans.

Elles m’ont empêché de glisser sur les graviers secs et sur la roche des grottes sombres.

Je peux dire sans rire que je leur fais confiance.

Alors quand un coin de tissu se déchire, quand une fente s’annonce dans le cuir, je cours chez le cordonnier.

La boutique ressemble à un garage.

11h, Le bonhomme discute dans la rue avec un gars du quartier.

- Il va faire ce qu’il peut, mais ne promet rien.  Pour la fin de la semaine.

- Tant que ça ? Je ne pourrai pas aller marcher pendant trois jours.

Je les lui confie.

15h30, le téléphone sonne : « C’est le cordonnier. Bon je m’y suis mis à 13h, je viens de finir.

Il y avait du boulot ! Vous pouvez passer les prendre. Comme je voyais que ça vous embêtait, je vous ai fait passer en premier.

Oui je peux vous attendre jusqu’à 18h30. Sinon je les laisse au marchand de vin en face, et vous le paierez. »

Je refais quarante minutes pour aller les chercher.

« J’ai fait ce que j’ai pu, mais vous savez… Après ?

Vous n’en trouverez plus des comme ça. Regardez ici, vous voyez, c’est un seul morceau.

Aujourd’hui ils font ça avec deux matériaux. Ici ils mélangent avec de l’eau.

Au bout de trois ou quatre ans l’eau s’évapore et ça casse. Et on ne peut pas réparer. C’est fait pour. 

Le cordonnier qui me dit en ajustant sa limeuse : « Que voulez-vous, cordonnier, c’est fini. »
 

Sarah Roubato a publié :

livre sarah

Source photo : Pino Di Maria.

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