LA FRANC-MAÇONNERIE EN CORSE. UN DI, FA.

LA FRANC-MAÇONNERIE EN CORSE.


  Franc-maçonnerie en Corse : «Un di, fa ». ( Ne le dis pas, fais-le )

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Le thème de la Franc-maçonnerie sur l’Ile de Beauté (une réalité!), terre sacrée, dépositaire de la Tradition, demeure étonnamment peu traité.

 L’une des raisons principales, indépendamment des rares données disponibles, serait la discrétion voulue et recherchée des Sœurs et des Frères corses.

Elle s’inscrit dans le respect de la sphère privée et, dans son prolongement, celui de la cellule familiale si chère à leur cœur.

Or, une Loge maçonnique, en Corse peut-être plus qu’ailleurs, cristalliserait ce caractère sacré de la famille.

Les premières empreintes de la Franc-maçonnerie spéculative en Corse remontent au XVIIIe siècle.

Elle était «organisée», en ce sens qu’elle relevait d’une Obédience considérée comme «régulière», le Grand Orient de France, fondé à Paris en 1728.

La Parfaite Union et la Sincère Amitié furent ainsi ses deux premières Loges maçonniques créées en Haute-Corse, respectivement à l’Orient de Bastia, en 1774, et à l’Orient de Corte en 1778.

Auparavant, des Loges dites «sauvages» ou «irrégulières», car rattachées à aucune Obédience, se réunissaient çà et là sur le territoire insulaire.

Il s’agissait la plupart du temps de Loges «militaires» qui suivaient les régiments, donc nomades.

Parmi celles-ci figuraient notamment Saint-Louis du Régiment de Guyenne et La Double Amitié du Régiment de Navarre qui, toutes deux, travaillèrent à Bastia dès 1771 pour la première, et dès 1778 pour la seconde.

La présence de Loges «militaires» en Corse s’expliquait par le contexte belligérant d’alors: tandis que les troupes génoises l’occupaient, Louis XV, en 1768, racheta à Gênes les droits de la France sur l’Ile, dans l’optique de la pacifier et de l’administrer.

Mais ses intentions étaient bien différentes puisqu’il lança son armée pour l’envahir, puis proclama officiellement le rattachement de la Corse à la France…

Entre batailles livrées, gagnées ou perdues, contre l’occupant grec, romain, barbare, pisan, génois, anglais et français à maintes reprises, entre instabilités politiques, insurrections, oppressions et répressions qui jalonnèrent l’histoire tragique de la Corse, d’autres Loges «régulières», mais aussi «sauvages», allumèrent successivement leurs feux du nord au sud de l’Ile de Beauté.

L’ambition de la Franc-maçonnerie, qui cooptait de plus en plus d’autochtones civils, visait à donner l’exemple des vertus maçonniques par l’édification de «Temples à la Vertu» dans cette île que de longues et cruelles dissensions avaient «égarée», rendue «ombrageuse», «sauvage».

Pendant les deux Guerres mondiales de 14-18 et 39-45, la Franc-maçonnerie connut un net fléchissement en Corse comme en Europe, avec le Grand Orient de France comme seule Obédience «régulière» en activité.

Dès les années 70, d’autres Obédiences françaises vinrent successivement s’y implanter.

Aujourd’hui, elles seraient une quinzaine à y compter des Loges, alors que le nombre total de Sœurs et de Frères dépasserait les 2’000, soit un nombre impressionnant en regard de cette population insulaire de quelque 330’000 habitants.

En comparaison, les Sœurs et les Frères seraient environ 5’000 en Suisse, toutes Obédiences confondues, sur une population qui dépasse les 8,6 millions d’habitants.

Sociétés secrètes et Confréries.

L’émergence de la Franc-maçonnerie spéculative en Corse, dès le XVIIIe siècle, s’inscrivit dans la mouvance de la philosophie des Lumières avec, comme résultante, l’émancipation de l’Ile, en particulier depuis la nomination de Pasquale Paoli (1725-1807) au rang de général de la Nation, en juillet 1755.

Initié à la Loge londonienne des Neuf Muses en 1778, ce Franc-maçon surnommé «U babbu di a patria», le père de la Patrie, lutta farouchement pour son indépendance.

Nourri des œuvres du Franc-maçon Montesquieu, et plus particulièrement de L’Esprit des Lois, il créa sa Constitution qui commençait par un axiome devenu célèbre:
«Tous les hommes naissent libres et égaux entre eux».

 Ardent partisan de la liberté des peuples et de la séparation des pouvoirs, Pasquale Paoli fut, entre autres, le fondateur de l’Université de Corte et d’une monnaie;
il aurait encore fait adopter l’étendard à la tête de Maure avec son bandeau relevé au-dessus des yeux signifiant ainsi que dès lors, la Corse les a ouverts au sens qu’elle a acquis sa liberté en luttant contre l’envahisseur génois.

Au registre des autres Francs-maçons célèbres de l’Ile, s’illustrèrent les membres de la famille Bonaparte, puisque le père de Napoléon, Charles, ses trois frères Joseph, Louis et Jérôme, ainsi que son épouse Joséphine et ses beaux-frères pratiquèrent tous l’Art Royal, aux grades les plus élevés.

Napoléon lui-même aurait été initié par ses pairs en Égypte, au pied d’une pyramide;
toutefois, il se serait servi des Francs-maçons uniquement pour asseoir son pouvoir.

Quant à son entourage direct, politique et militaire, il se composait d’une majorité d’«enfants de la Veuve».

Au chapitre des hermétistes, le Baron Théodore de Neuhoff (1694-1756), proclamé Roi des Corses en 1736 à Alesani, fut Rosicrucien.

Dans sa Constitution, cet initiateur de la philosophie des Lumières sur l’Ile prôna la liberté de conscience, la tolérance et la protection des faibles.

Grand Maître de l’Ordre Militaire de la Rédemption, il fonda également l’Ordre de la Délivrance, inspiré des chevaliers Teutons dont il faisait partie.

 Selon le Frère Jean-Marie Ragon de Bettignies (1781-1866), auteur d’ouvrages maçonniques de référence, le Baron Théodore de Neuhoff aurait également été Franc-maçon.

Plusieurs courants d’influence furent certainement à l’origine de l’Art Royal en Corse, comme la communauté ésotérique des Giovannali au XIVe siècle qui, engagée spirituellement et socialement aux côtés des plus démunis, pratiqua un cérémonial et des rites initiatiques;
 les Giovannali furent considérés comme les «Cathares de Corse».

Ou encore les Ghjuvannali, disciples de saint François d’Assise, qui prônèrent une vie spirituelle singulièrement stricte et exigeante.

Diverses sociétés secrètes à caractère initiatique et révolutionnaire, comme les Carbonari (Maçonnerie du bois ou Charbonnerie) et leurs successeurs les Pinnuti, au XIXe siècle, virent le jour dans le sillon de la Franc-maçonnerie spéculative et la stimulèrent, même si leurs prises de position et agissements divergèrent parfois avec ceux de leurs «Bons Cousins» les Maçons.

Ce fut, cependant, les Confréries ou Associations de Pénitents qui concoururent d’une manière encore plus significative à l’émergence de l’Art Royal sur l’Ile de Beauté;
actifs sur tout le territoire corse dès la seconde moitié du XVIe siècle, ces cercles de bienfaisance agissaient comme des sociétés de secours mutuels, faisant œuvre de charité et de solidarité à l’égard des pauvres, tout en gardant le clergé à distance.

Toujours fortement enracinées en Corse, les Confréries (environ 80 actuellement), qui se caractérisent par leurs processions, leurs chants liturgiques et leurs déambulations symboliques en spirale, comptent de nombreux Maçons et Maçonnes dans leurs rangs.

Elles forment le véritable creuset du patriotisme insulaire.

Des valeurs ancestrales.

En marge des événements historiques et des courants spirituels qui influèrent sur l’éclosion et l’épanouissement de la Franc-maçonnerie sur l’Ile de Beauté, les spécificités anthropologiques de ce peuple insulaire aident à mieux comprendre son engouement actuel.

Elles en seraient même la source véritable, la pierre angulaire.

Cultivées consciemment ou non dans la mémoire collective des Corses, dignes héritiers de la Tradition, des valeurs ancestrales formeraient le terreau fertile de leur Franc-maçonnerie.

Elles ont pour noms solidarité, générosité, fidélité, fraternité, liberté, justice, respect de soi-même et des autres; mais encore discrétion répondant à l’exigence de protéger la sphère privée, et engagement que l’expression :

«Un di, fa»  illustre à l’envi.

Toutes ces valeurs transmises oralement de génération en génération, tous ces ressentis, s’exprimeraient à travers l’égrégore ( des Tenues ).

S’ajoute à ces valeurs la propension des Corses à transcender leur existence par la spiritualité, l’ésotérisme, le mysticisme, le culte voué à la nature, à la terre «materia prima», et même la théurgie, en référence aux Mazzeri, ces devins «chasseurs d’âmes nocturnes» qui séviraient toujours dans l’Alta Rocca en Corse-du-Sud.

Chez les Corses, les deux mondes du réel et de l’occulte forment un tout, paradoxalement.

 Comme le dit une Sœur corse d’une grande notoriété:

«Les Corses sont rationnellement irrationnels tout en étant irrationnellement rationnels…»

Dans un autre registre, les Corses n’oublient pas non plus les oppressions réitérées, les souffrances du passé, de l’histoire vécue et subie;
gravées dans leur chair, inscrites dans leurs gènes, elles sont irrémédiablement omniprésentes…

Les calvaires, souvent à l’état brut, à l’entrée de la plupart des villages corses, sont là pour le leur rappeler, ainsi que l’indispensable humilité face à la vulnérabilité.

Tous ces mystères entourant l’origine et l’essence de l’Art Royal sur l’Ile de Beauté exigent avant tout de percevoir les profondeurs de l’âme corse pour tenter de les percer.

Je vais m’y atteler dans un prochain ouvrage, même si dans l’immédiat, sans être un «pinzutu», ( Français du continent; historiquement un «pointu», c’est-à-dire un militaire au chapeau pointu )  je reste un étranger à leur identité propre.

Mais la Franc-maçonnerie en Corse, ou corse (à approfondir…) le mérite avantageusement.

Les Corses davantage encore, un peuple d’Élus qui n’a jamais courbé l’échine, qui a résisté et résiste encore.

Didier Planche.


Didier Planche, rédacteur francophone du magazine ALPINA de la Grande Loge Suisse Alpina, a rédigé pour ce magazine un très intéressant article sur la franc-maçonnerie en Corse qu’il nous a autorisé à reproduire :


Par Géplu dans Contributions.

 

 

 

 


Références :

– Charles Santoni, Chronique de la Franc-maçonnerie en Corse 1772-1920, Editions Alain Piazzola, Ajaccio, 2000 – Sous la direction de Charles Antoni, La Corse mystérieuse, Editions l’Originel, Paris, 2018 – Jean-Victor Angelini, Histoire secrète de la Corse, Editions Albin Michel, Paris 1977

La constellation maçonnique en Corse à travers trois Obédiences :


– Grande Loge Nationale Française (GLNF) :
implantée depuis 1981,
26 Loges «bleues» réparties entre Ajaccio, Bastia, Corte, l’Ile-Rousse, Porticcio, Porto-Vecchio et Sartène, environ 650 Frères au total;
Rites pratiqués: REAA, RER, Rite Français, Emulation, Rite Standard d’Ecosse, Rite York.


– Grande Loge de France (GLDF):
implantée depuis 1971,
9 Loges «bleues» réparties entre Ajaccio, Bastia, Calvi, Ghisonaccia, Porto-Vecchio et Propriano, environ 360 Frères au total;
Rite pratiqué: REAA.


– Fédération française de l’Ordre Maçonnique Mixte et International «Le Droit Humain»:
 implantée depuis 1976,
8 Loges «bleues» réparties entre Ajaccio, Bastia, Corbara, Corte, l’Ile-Rousse, Porto-Vecchio et Solenzara, environ 245 Sœurs et Frères au total (y compris les doubles affiliations);
Rite pratiqué: REAA.

 

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