CHJAMA È RISPONDI.
 
 
CHJAMA È RISPONDI.

Quand l'équipe de Bastia gagne, mon père chante !
Quand il part, il chante, quand il revient, il chante encore.

Mon père a toujours une bonne raison de chanter !
c'est comme çà ! c'est une façon de vivre, je pourrais dire, un art de vivre....
Mon père chante son actualité du moment, pas n'importe comment : Tout en rimes et en langue corse !
Et quand il rencontre un ami, qui comme lui manie avec art, notre langue maternelle, ils font ce qu'on appelle :
a chjam' è rispondi.

Au plus loin que je me souvienne, je revois le bistro de l'oncle Charles, le cousin de ma mère ; le soir venu il entrebâillait les portes afin de laisser sortir les derniers clients, et faire entrer les habitués.

J'assistais parfois à ces soirées intimes, sagement assise devant un diabolo menthe que je sirotais à peine, et un livre d'images que je ne regardais pas, je n'avais d'yeux que pour mon père, qui se tenait debout prés du comptoir.

Je reconnaissais, à l'expression de son visage qu'il avait repéré sa proie, ho pardon, son adversaire !
Il souriait, se régalait d'avance. Il méditait, se concentrait, sans rien laisser paraitre, pour mieux surprendre son adversaire.
Celui-ci, connaissant le jeu, réfléchissait aussi tout en feignant de participer à la conversation anodine qui se tenait dans le bar.

Accoudé au comptoir, face à celui qu'il avait choisi pour le duo, mon père entamait la danse des mots, sa voix s'élevait et la magie commençait.

Le jeu se résume en un duel de phrases en rimes.
Le thème n'a pas d'importance, c'est suivant les circonstances, ou les événements de l'instant. Quant à la mélodie, elle reste la même pendant toute la durée du jeu, mais il faut que les quatre dernières syllabes s'éclaboussent comme le font les vagues sur les rochers.

Le partenaire, ainsi défié par a chjama, se doit de faire a risponde, tout en finesse, et en poésie, pour que non seulement les phrases aient un sens, mais aussi pour que les mots soient beaux.

Le public présent, entre deux répliques, encourage et stimule les improvisateurs. Le jeu prend fin quand l'un des deux participants est à court de mots.

De ma place, envoutée par ces instants d'éternité, j'observais la scène, et fièrement, je n'applaudissais que mon père, parce que pour mes yeux d'enfant, de tous les chanteurs, de tous les poètes, c'était lui le plus grand !

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Photo : Corse Matin.
 
 
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