LES BONAPARTE : RÉFUGIÉS CORSES À MARSEILLE.

Le 17 vendémiaire an III (8 octobre 1794), la Convention décrète ‘‘qu’il sera accordé sur-le-champ, à chacun des patriotes corses réfugiés sur le continent, des secours provisoires à compter du jour de leur arrivée en France et charge le Comité des secours publics de veiller à l’exécution du présent décret.’’

Au moment où la Révolution prend le visage de la terreur, la Convention engage d’importants efforts pour venir en aide aux deux mille Corses qui ont fui leur île.

Parmi eux, le jeune Napoléon Bonaparte et sa famille.

‘‘Dès leur arrivée sur le continent, les réfugiés corses devaient se faire inscrire au bureau spécial ouvert pour eux à la mairie de chaque ville où ils entendaient séjourner.’’

Les émigrés de 1793 se dispersent entre Nice, Toulon et Antibes mais la plupart s’établissent à Marseille : ‘‘Cela s’explique par la tranquillité relative dont jouissait cette ville dont le renom de prospérité et de travail, bien qu’atténué par la terrible secousse révolutionnaire, semblait un abri sûr contre la misère.’’ 

Des heures difficiles pour la famille du futur empereur 

Parmi ces réfugiés corses, les Bonaparte.

Dénoncés par les paolistes comme des fauteurs de troubles, ils ont dû fuir leur île précipitamment.

On leur reproche notamment de pactiser avec Marboeuf et de mettre sur le dos de Paoli l’échec de l’expédition de Sardaigne.

‘‘Le 10 juin, la famille réussit à s’embarquer pour Toulon où Lucien attend sa mère dont la maison d’Ajaccio est livrée au pillage alors que les Milelli sont la proie des flammes.

Tandis que les Bonaparte voguent vers leur destin, la Convention tente de limiter l’influence de Paoli et divise pour cela la Corse en deux départements : le Golo et le Liamone.’’

Provisoirement, Lætizia et ses filles sont installées à La Valette près de Toulon, alors que ses fils trouvent à s’enrôler dans l’armée.

Joseph à Marseille en tant que Commissaire des guerres, Lucien à Saint-Maximin comme garde-magasin, et Napoléon à Nice où il rejoint son régiment d’artillerie.

En août 1793, les Anglais prennent Toulon.

La signora Lætizia se réfugie à Brignoles.

Mais dès la fin septembre, Napoléon - qui a des relations à Marseille - fait en sorte que sa mère puisse s’installer dans la cité phocéenne où réside également Joseph.

La mère qui vit avec ses filles Elisa, Pauline et Caroline, se fait un peu d’argent en exerçant comme couturière.

Comment les Bonaparte réfugiés ont-ilssubvenu à leurs besoins ?

‘‘Il est probable qua la famille a vécu dans un modeste appartement, au jour le jour d’abord, puis des subsides de plus en plus sérieux prélevés sur la solde du capitaine devenu général, sur les appointements du commissaire des guerres et du garde-magasin, puis des secours de la municipalité ordonnés par décret du 14 août 1793 pour les citoyens réfugiés des départements envahis par l’ennemi, et ce jusqu’au printemps 1794.’’

À peine réintégré au 4e Régiment d’artillerie, Napoléon Bonaparte reçoit l’ordre ‘‘de se rendre en Avignon chercher un parc d’artillerie et des munitions.’’

Le 29 juillet, le capitaine Bonaparte soupe à Beaucaire en compagnie de quatre négociants de la région à qui il brosse un tableau lucide de la situation politique.

Cette intervention sera publiée sous le titre du Souper de Beaucaire.

En décembre 1793, le capitaine Bonaparte reprend Toulon aux Anglais de haute lutte, ce qui lui vaut en janvier 1794 d’être nommé général de brigade. Sans plus tarder, il part au galop à Marseille donner la bonne nouvelle à sa mère.

Le mariage de Joseph Bonaparte avec Julie Clary le 1 er août 1794 - tandis que son frère Napoléon se fiance en 1795 avec sa soeur Désirée - marque les premiers pas de la famille exilée dans la bourgeoisie marseillaise.

Lætizia et ses filles ne sont pas à la noce mais au château Sallé d’Antibes, Napoléon en résidence à Nice voulant les garder près de lui.

Le sort des réfugiés ajacciens s’est nettement amélioré au point que Lucien écrira dans ses Mémoires : ‘‘Notre famille devait à Napoléon une situation plus prospère.’’

Nommé général, Bonaparte envoie 60 000 francs à sa famille 

Neuf Thermidor.

Chute de Robespierre.

Napoléon soupçonné d’être de ses amis, il est incarcéré au Fort carré d’Antibes.

Ses proches veulent le libérer sabre à la main mais il parvient à prouver sans peine sa bonne foi.

À la fin de l’année 1794, la famille Bonaparte retourne à Marseille où elle s’installe rue de Rome dans l’hôtel du marquis de Cipières –ex maire de Marseille et député de la Noblesse – classé ‘‘bien national’’ par la Révolution. Malgré de maigres revenus, madame Mère fait de cet hôtel presque en ruines un gîte accueillant comme le précise un témoin de l‘époque : ‘‘Accoutumée dans son pays à recevoir du monde, elle sut concilier ce goût avec la stricte économie exigée par la modicité de ses ressources.

La fortune de son fils ayant rejailli sur l’hôtel de Cipières, on put tenir un état de maison sinon somptueux, du moins honorable.

On ouvrit les salons, on eut un cercle !

’’ Napoléon appelé à Paris et mis en congé sans solde connaît alors une période difficile au point de faire appel à la générosité de Junot. Lætizia, privée des subsides de son fils, n’est pas pour autant réduite à la misère mais elle doit néanmoins ‘‘se présenter à la mairie du Midi pour retirer la carte de subsistance.’’

De temps à autre, elle reçoit la visite de son demi-frère, Joseph Fesch l’archidiacre d’Ajaccio.

En attendant des jours meilleurs, il est employé comme ‘‘garde-magasin de l’armée des Alpes en résidence à Aix.’’

Enfin, le 5 octobre 1795, le destin de la famille Bonaparte connaît une prodigieuse accélération.

Chargé de contrer les sections royalistes menaçant la Convention, Napoléon leur fait rendre les armes et sauve ainsi la République.

Le lendemain, il est promu général de division, adjoint de Barras, puis général en chef le 26 octobre.

Devenu l’un des premiers personnages de la République, il dispose d’un hôtel, de voitures, et d’un état-major.

Son premier geste sera ‘‘d’envoyer 60 000 francs à sa famille en argent, assignats et chiffons.

’’ Du coup ‘‘Joseph est invité à venir choisir à Paris « le poste qui lui conviendra’’.

L’oncle Fesch est prié de le rejoindre comme secrétaire, et Lucien, le ‘‘garde-magasin’’ est nommé commissaire des guerres à Marseille.

Alors que le général en chef Bonarparte mène au pas de charge la campagne d’Italie, il ne reste plus à Marseille que ‘‘Letizia Ramolino vedova Buonaparte’’ et ses trois filles.

Dans les théâtres où les acteurs racontent les exploits du héros d’Arcole, sa famille reçoit de sa loge un bouquet d’applaudissements en hommage.

Eclatante revanche.

Article de J-P GIROLAMI.
Doc :
Jean de Servières. Les réfugiés corses à Marseille pendant la Révolution (1793-1797).
 
Bulletin de la société des sciences N° 441
 
Michel Vergé-Franceschi. Histoire de Corse. Editions du Louis Felin
Photo : Corse Matin. Settimana.

 

LES BONAPARTE : RÉFUGIÉS CORSES À MARSEILLE.
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